Source : 3ème civ, 25 octobre 2018, n°17-22.129 FS-P+B+I
Depuis l’entrée en vigueur de la loi MURCEF du 11 décembre 2001, il est acquis que le déplafonnement du loyer à la baisse dans le cadre d’une révision triennale légale, ne peut être sollicité par le Preneur que sur la démonstration « d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative » en application des dispositions de l’article L 145-38 du Code de commerce[1] :
« Par dérogation aux dispositions de l’article L. 145-33 , et à moins que ne soit rapportée la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de [l’ILC] ou de [l’ILAT] (…)intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer »
Ainsi, contrairement au loyer de renouvellement qui n’est soumis à aucun plafonnement lorsque la valeur locative est inférieure au loyer en cours, le loyer révisé ne peut être fixé à un montant inférieur à celui résultant de sa dernière fixation sans que le preneur ne procède à la démonstration préalable de cette modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, pour la définition desquels il y a lieu de se reporter aux dispositions de l’article R145-6 du Code de commerce les définissant de manière non limitative :
« Les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l’intérêt que présente, pour le commerce considéré, l’importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l’attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l’emplacement pour l’activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d’une manière durable ou provisoire. »
L’article L145-38 conditionnant le déplafonnement à une modification matérielle de ces facteurs locaux, le preneur désirant voir fixer le loyer, en cours de bail, à une valeur inférieur au loyer qu’il paie, est généralement tenu de démontrer une dégradation concrète des éléments constituant la commercialité de l’emplacement.
Cette dégradation matérielle ressortira de l’appréciation souveraine de la juridiction du fond saisie de la demande : elle relèvera généralement de la désertification de la zone de chalandise du preneur.
Ont par exemple été retenus comme une dégradation matérielle des facteurs locaux de commercialité entrainant le déplafonnement du loyer les éléments suivants :
– la désertification de nombreuses surfaces de bureaux et de commerce cumulée à la baisse notable de la fréquentation des stations de RATP[2] ;
– la fermeture d’un accès à la station de métro située à proximité cumulée à la restructuration de bureaux vacants[3] ;
– le départ massif des commerçants de l’ensemble immobilier, à l’origine attractif, entre la date de conclusion du bail et celle de la demande de révision, qui s’était traduit par une baisse importante du chiffre d’affaires du preneur [4] ;
– pour le locataire pratiquant la vente d’équipements sanitaires : Fermeture des commerces du quartier avec une vacance importante des locaux, forte baisse des prix de vente des locaux neufs à usage de bureaux et d’habitation, ainsi que la chute des valeurs des fonds de commerce et de droits de bail devenus sans objet[5] ;
Un preneur avait considéré qu’au-delà de cette désertification, la dégradation matérielle des facteurs locaux pouvait également résulter de la renégociation des contrats des exploitants d’un site en difficulté tendant à éviter sa désertification ce qui reviendrait, en quelque sorte, au même.
Plus précisément en l’espèce, le preneur exploite une résidence dans une station de tourisme dans laquelle il ressort du second moyen du pourvoi que les quatre autres établissements du site ont déposé l’état de cessation de leurs paiements, avant d’être repris par de nouveaux exploitants qui ont renégocié leurs loyers à la baisse.
Pour le preneur de cette cinquième résidence, cette renégociation, en ce qu’elle concerne toutes les résidences du site, constitue une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité. Elle permet aux repreneurs de pratiquer des tarifs agressifs que le preneur semble lier à une baisse de plus de 10% de la valeur locative, l’exposé des faits étant toutefois taisant sur ce rapprochement.
Pour la Cour de cassation, confirmant l’arrêt déféré rendu par la Cour d’appel d’Aix en Provence, la renégociation des baux des concurrents ne constitue en toute hypothèse pas une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité au sens de l’article L145-38 du Code de commerce. Il s’agit d’une « décision de gestion propre aux résidences concernées qui n’est pas opposable aux preneurs pour apprécier la commercialité » du site.
Le Preneur qui ne rapportait pas la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité devait ainsi être débouté de sa demande de révision à la valeur locative.
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] Cf notamment 3ème civ, 11 juillet 2007, n°06-12.888 ; 3ème civ, 6 février 2008, n°06-21.983
[2] CA PARIS, CH16 B, 20 septembre 2002, n°2001/13412
[3] CA PARIS, CH16A, 27 novembre 2002, n°2000/21766
[4] CA MONTPELLIER, 5 novembre 1997, Sté Sélectibanque c/Sté Super Chauss 34, loy et copr n°272
[5] 3ème civ, 26 septembre 2001, n°00-13859