La construction d’un immeuble par le preneur à bail commercial d’un terrain nu relève des travaux d’amélioration

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : 3ème civ, 17 mars 2016, n°14-25412, Inédit

 

La fixation du loyer du bail renouvelé est encadrée par les dispositions de l’article L145-34 du Code de commerce, qui prévoient par principe l’application d’un mécanisme de plafonnement, et des exceptions, parmi lesquelles figure la modification notable des caractéristiques des lieux loués.

 

Le loyer du bail renouvelé sera ainsi déplafonné lors de l’adjonction de nouveaux locaux modifiant de manière notable l’assiette du bail.

 

La modification des caractéristiques des locaux peut être également le fruit de travaux réalisés par le Preneur : Aménagement interne par suppression de cloisons intérieures, création d’une mezzanine, extension augmentant l’assiette du bail.

 

Cependant, ces travaux modifiant les caractéristiques des locaux sont généralement favorables à l’activité du preneur, et peuvent être qualifiés d’amélioration. Or, l’article R145-8 du Code de commerce dispose que :

 

« (…) Les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l’acceptation d’un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge (…) ».

 

Toute la difficulté est que non seulement, la notion d’amélioration n’est définie par aucun texte législatif ou réglementaire, mais de surcroit la jurisprudence ne distingue pas clairement l’amélioration de la modification des caractéristiques des locaux. Les mêmes travaux peuvent d’ailleurs, selon la Cour de cassation, recevoir simultanément les deux qualificatifs[1].

 

De tels travaux réalisés aux frais du locataire, relevant d’une modification notable des caractéristiques des locaux (R145-3 ccom) et d’une amélioration (R145-8 ccom), ne peuvent entrer dans le calcul de la valeur locative, et a fortiori justifier un déplafonnement du montant du loyer, que lors du second renouvellement du bail, sous la seule réserve que ces travaux soient devenus propriété du bailleur.

 

Or s’il est concevable que des travaux modifiant la distribution ou augmentant l’assiette d’un immeuble, relèvent du régime des améliorations, les travaux visant à édifier un immeuble sur un terrain loué nu, comme en l’espèce, devraient être exclus du régime des améliorations.

 

En effet, de tels travaux ne se rattachant à aucun immeuble bâti, ne sauraient logiquement l’améliorer, sauf à retenir que l’immeuble objet de l’amélioration est le terrain.

 

C’est sans doute la position retenue par la jurisprudence, qui considère de manière constante, afin d’aider le preneur à amortir le coût de construction des édifices, que de tels travaux, y compris sur terrain nu, sont des améliorations qui ne permettent au bailleur de solliciter la fixation du loyer à la valeur locative qu’au deuxième renouvellement[2], sauf s’il en a assumé la charge.

 

En l’espèce, les propriétaires d’un terrain donné à bail à une société exploitant un aérodrome et divers activités commerciales annexes (bar, restaurant, hôtel, etc.), ont délivré congé au preneur, au terme de la durée contractuelle du bail (20 ans prorogée de 3 ans par avenant) proposant un loyer de renouvellement tenant compte de l’édification des constructions.

 

Le montant proposé ayant été refusé par le preneur, le juge des loyers commerciaux a été saisi.

 

Confronté à la jurisprudence précitée relative aux constructions édifiées sur un terrain loué nu, le bailleur ayant a priori choisi de ne pas en solliciter le revirement, le débat s’est cantonné à la participation du bailleur aux travaux du preneur.

 

Plus précisément le bailleur prétendait que la durée du bail initial (vingt ans) et sa prorogation de trois ans avait eu pour effet de retarder son accession aux travaux, et donc de permettre au preneur de bénéficier d’un loyer réduit pendant vingt trois ans. Selon le bailleur, cette renonciation valait prise en charge indirecte des travaux, conformément au texte. Le bailleur tentait ainsi d’adapter à sa situation un arrêt du 26 janvier 1982[3] rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation à propos d’une prorogation d’un bail pour une durée de quinze ans.

 

Pour la Cour d’appel de Paris, dont l’arrêt est confirmé par la Cour de cassation, la durée du bail et sa prorogation ne suffisent pas à caractériser la participation indirecte du bailleur aux travaux, d’autant qu’il n’était pas démontré que le loyer initial avait été fixé à un montant faible pour tenir compte de la réalisation des travaux.

 

Le loyer de renouvellement devait donc être fixé selon les dispositions de l’article R145-9, du Code de commerce, par rapport au prix du marché de terrain nu, sans tenir compte des édifices.

 

Si cette décision est compréhensible au regard de la jurisprudence précitée, la motivation tant de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris que par la Cour de cassation laissera perplexe le lecteur :

 

« (…) ces constructions ne pouvaient être considérées comme ayant fait accession aux bailleur lors du premier renouvellement (…) »

 

En statuant ainsi, les juridictions opère soit un revirement de jurisprudence, laquelle considère habituellement qu’en l’absence de clause d’accession, le transfère de propriété intervient à l’issue du bail en cours[4], soit un amalgame malheureux entre l’accession du bailleur aux travaux du preneur, et son droit à s’en prévaloir pour obtenir la fixation du loyer à la valeur locative (ou en l’occurrence, la fixation du loyer en tenant compte des constructions).

 

S’agissant d’un arrêt inédit, la première hypothèse semble toutefois à exclure. En réalité, le bailleur doit être réputé avoir acquis la propriété des constructions du preneur à la fin du bail à renouveler, mais ne pourra se prévaloir desdites construction dans la fixation du loyer qu’au deuxième renouvellement du bail.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats



[1] 3ème civ, 9 novembre 2010, n°09-71557 ; 3ème civ, 27 septembre 2011, n°10-24674 ; 3ème civ, 17 septembre 2013, n°12-18910

[2] 3ème civ, 3 mai 1978, n°76-15589 ; 3ème civ, 20 décembre 1989, n°88-16.268 ; 3ème civ, 30 mai 1990, n°89-12061 ; 3ème civ, 27 novembre 1990, n°89-17287 ;

[3] 3ème civ, 26 janvier 1982, n°80-12434, Publié au Bulletin

[4] 3ème civ, 17 septembre 2013, n°12-18910 ; CA PARIS, 7 février 2008, n°07/07733

 

 

 

 

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