Liquidation judiciaire du mandant, et recevabilité de la demande de rupture du contrat par l’Agent commercial.

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

SOURCE : Cour de cassation, Chambre commerciale,  13 avril 2022, N°20-18.175

I – A l’origine de cette affaire, un Agent Commercial (personne morale), conclut un contrat d’agence avec une autre société.

Pour mémoire, et conformément à l’article L134-1 et suivants du Code de commerce, l’agent commercial est défini comme un :

«  mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale ».

De surcroit, l’article L134-4 précise alors ensuite :

«  Les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l’intérêt commun des parties.

Les rapports entre l’agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d’information.

L’agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel; le mandant doit mettre l’agent commercial en mesure d’exécuter son mandat ».

Sauf qu’au cas d’espèce, les relations entre les parties au contrat d’agence se dégradent, l’agent commercial reprochant à son mandant de ne pas le mettre en mesure d’exécuter son mandat ( retards de livraisons, rupture de stocks, défaut d’informations…)..

II – Un contentieux né entre les parties lorsque l’Agent commercial décide d’assigner son mandant, aux fins d’obtenir :

  Rupture de son contrat d’agence sans exécution du préavis, pour fautes graves de gestion,

  Réparation de son préjudice financier,

  Paiement de ses créances en souffrances.

Sauf que, quelques jours après, s’ouvre une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société mandante….

La question est avant tout chronologique, puisqu’en réalité, la société mandante a été assignée un 24 Octobre, la procédure ouverte le 27 Octobre, et la société mère de la société mandante le 10 novembre.

III – Or, les lecteurs sauront au fil de leurs lectures de la newsletter Vivaldi Chronos, qu’en matière de procédure collective, les poursuites individuelles à l’encontre d’une société en difficulté s’arrêtent à l’ouverture de ladite procédure.

Le jugement ouvrant une liquidation judiciaire interrompt ou interdit toute action en justice de la part des créanciers dont la créance est née avant ce jugement, dès lors qu’elle tend à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent, ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une telle somme.

Les juges de la Haute Cour ont alors eu à se prononcer sur la recevabilité d’une telle action, visant certes en paiement de créances, et réparation de son préjudice financier, mais aussi et surtout à la rupture du contrat d’agence et ce, sans préavis, eu égard aux fautes reprochées.

L’Agent commercial souhaitant alors rompre son contrat, aux torts du mandant, pour obtenir exonération de son préavis, et indemnité compensatrice.

IV – La particularité de ce type de contrat est en effet son mode de rupture. Sauf faute grave ou force majeure, un préavis doit être respecté, dont la durée varie en fonction de l’ancienneté du contrat.

Le Code de commerce prévoit alors qu’en cas de cessation du contrat, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

Pour autant, cette indemnité n’est pas due en cas de faute grave de l’Agent, de transmission du contrat, ou lorsque la cessation du contrat résulte de l’initiative de l’Agent.

Pour cette dernière hypothèse, plusieurs exceptions demeurent, et notamment : lorsque la cessation est justifiée par des circonstances imputables au mandant par suite desquelles la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée.

C’est justement la tout l’enjeu de cette procédure.

L’agent commercial voulait obtenir résiliation du contrat d’agence aux torts du mandant, pour obtenir ladite indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, qu’il pourrait alors inscrire au passif de la procédure collective.

Or, le Liquidateur désigné à la procédure revendiquait l’irrecevabilité de cette action.

Les juges de la Haute Cour ont donc tranché, finalement en faveur de l’Agent commercial.

En effet, pour juger recevable l’action, ils ont affirmé que l’action de l’Agent commercial ne tendait pas, à titre principal, à la condamnation du mandant au paiement d’une somme d’argent ou à la résolution du contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent, mais bel et bien à la constatation de la rupture du contrat aux torts exclusifs du mandant.

Elle se prononce en ces termes :

« En statuant ainsi, alors que la société Alves demandait que soit jugée imputable à la société Sicara la rupture du contrat d’agent commercial conclu avec elle pour fautes graves de gestion et que soit jugée bien fondée sa demande, par voie judiciaire, de rupture de ce contrat sans exécution du préavis, et que cette demande ne tendait pas à la condamnation de la société Sicara au paiement d’une somme d’argent, ni à la résolution du contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Ainsi, la demande formulée par l’agent commercial, de voir « dire et juger bien fondée la notification par la société X de la rupture de son contrat sans préavis » est recevable, même lorsque la société mandante fait l’objet d’une procédure collective de liquidation judiciaire.

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