Société cotée : diffusion d’informations trompeuses, responsabilité du dirigeant.

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

Source : CA PARIS 5-9, 20 janvier 2022 n° 20/04801

I –

A la base, une société cotée sur ALTERNEXT NEW YORK et EURONEXT PARIS, dont la cotation sur un marché réglementé était justifiée par les coûts de développement d’un programme et de construction de deux avions dénommés F-406 et SKY AIRCRAFT qui ont échoué, à tel point que la société cotée a fait l’objet de l’ouverture d’une procédure collective, convertie en liquidation judiciaire.

Certains actionnaires ont considéré que l’information transmise par la société sur sa situation financière était inexacte et surtout trompeuse.

Les actionnaires n’étaient pas les seuls à partager cette analyse puisque la commission des sanctions de l’autorité des marchés financiers avait, par une décision du 21 octobre 2010 (AMF 21 octobre 2010 n° S1N-2010-23) sanctionné tant la société cotée que son dirigeant, d’une amende de 50 000 € pour la première et de 200 000 € pour la seconde, pour avoir tardé de diffuser « un profit warning » relatif « à un résultat d’exploitation de l’exercice déficitaire en raison  de l’anticipation d’une perte prévisionnelle d’un million d’euros (…) », tout en laissant croire que la société était en développement.

Pour l’AMF, il s’agissait d’un manquement à son règlement général (RG AMF), et plus spécialement à son article 223-1, qui fixe un principe général selon lequel l’information  donnée au public par l’émetteur doit être exacte, précise et sincère, qui était à l’époque complétée par l’article L.632-1 de ce même règlement, aujourd’hui abrogé et remplacé par l’article 12 du règlement européen (UE)  n° 596/2014 du 16 avril 2014 qui classe  la diffusion consciente d’indication fausse ou trompeuse relative à  l’offre, la demande ou le cours d’un instrument financier par toute  personne parmi les activités constitutives d’une opération de manipulation de marché.

Ces dispositions, destinées aussi bien à protéger le marché que les investisseurs, déterminent un comportement fautif de l’émetteur.

Pour autant, la sanction financière prononcée par l’AMF n’est destinée qu’à réprimer un manquement administratif.  Elle s’inscrit dans le cadre d’une procédure qui, pour autant qu’elle ait un caractère administratif, a aussi un aspect pénal, qui ne concerne devant la commission des sanctions que l’AMF, la société et son dirigeant sans que, comme en matière pénale que les victimes du manquement puissent se constituer en qualité de partie civile.

Pour obtenir réparation de leur préjudice, les victimes et, au cas particulier, les actionnaires, doivent saisir les Juridictions consulaires au visa de l’article L.225-252 du Code de Commerce qui autorise les actionnaires à intenter une action en réparation d’un préjudice subi personnellement ou une action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général. C’est ainsi qu’au visa de ce texte, les actionnaires doivent-ils démontrer que le manquement, déjà sanctionné par l’AMF, est susceptible de constituer une faute au sens des dispositions du Code de Commerce précité.

Pour confirmer la décision de première instance, la Cour d’Appel va appliquer le droit au fait, en abordant les problèmes liés à la prescription de l’action en responsabilité des actionnaires (II-1), les conditions de la faute du dirigeant au visa du Code de Commerce (II-2) et ensuite fixer les critères d’évaluation du préjudice (II-3).

II –

II – 1. La prescription de l’action en responsabilité des actionnaires

La prescription de l’action posée par l’article l.225-252 du Code de Commerce est fixée par l’article L.225-254 du même Code.  Elle est de trois ans à compter du fait dommageable ou, s’il a été dissimulé, de sa révélation.

Pour la Cour d’Appel, la révélation de la fausseté du communiqué de presse relative aux activités de la société cotée devait être datée à la mise en liquidation judiciaire de ladite société à l’origine de communiqués publiés qui ont « permis aux actionnaires de prendre conscience du caractère éventuellement inexact des informations diffusées » précédemment par la société.

II – 2. Sur la qualification d’informations inexactes par la Cour d’Appel

La Cour d’Appel de PARIS retient trois critères pour engager la responsabilité du dirigeant :

  L’information doit être inexacte ;

  Elle doit avoir une influence sur le cours des actions de la société ;

  Et le caractère inexact de l’information doit être connu de l’émetteur.

Cette connaissance ne doit pas être qualifiée, c’est-à-dire qu’il n’est pas besoin pour la victime de démontrer le caractère intentionnel de la diffusion d’informations inexactes, imprécises ou trompeuses, ou même établir que la diffusion est d’une particulière gravité ou incompatible à l’exercice du mandat des fonctions sociales[2], ce qui est assez logique puisqu’il s’agit simplement de démontrer une responsabilité du mandataire social dans l’exercice de ses fonctions au visa de l’article L.225-252.

A l’inverse, pour échapper à la prescription triennale et engager la responsabilité délictuelle, il faut démontrer, pour le coup, une faute détachable des fonctions du dirigeant, ce qui présente comme avantage de repousser la prescription de trois ans… à cinq ans ; avis aux retardataires.

II – 3. Sur l’évaluation du préjudice

Avec son Arrêt du 09 mars 2010 précité, la Cour de Cassation admet qu’une information trompeuse peut être à l’origine d’un dommage réparable pour les actionnaires qui, selon les circonstances, peuvent avoir été incités à investir ou, au contraire, à conserver leurs titres, alors même que la dégradation de la situation de la société, si elle avait été connue, aurait pu les pousser à les vendre[3]. La difficulté tient à l’appréciation de la perte de chance de vendre les actions si une information non trompeuse avait été diffusée. En effet, il ne fait aucun doute qu’un profit warning venant d’une société, entraîne une chute de son cours, de sorte que considérer que le préjudice est égal à la différence entre la valeur des titres à la date de la liquidation et celle qu’ils avaient à la date du communiqué trompeur, relèverait d’erreur de raisonnement. La Juridiction procède, comme à l’habitude par une extrapolation à caractère franchement forfaitaire qui consiste à ne retenir que 40 % de la valeur du titre à la date de la publication de l’information trompeuse.

En procédant ainsi, la Cour considère que le titre aurait perdu 60 % de sa cote sur une journée, c’est évidemment possible, mais ce n’est pas nécessairement certain.

Il aurait pu être, également, pris en compte des instructions de vente des titres en cas de dégradation de la cote de 5 ou 10 % par exemple, de sorte que, pour le coup, la perte aurait été moins flagrante puisque la vente aurait été consacrée plus rapidement.

[1] CA PARIS 5-9, 20 janvier 2022 n° 20/04801

[2] Cass. Com. 09 mars 2010 n° 08-21.547

[3] Dans le même sens, Cass. Com. 06 mai 2014 n° 13-17.632

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