Dans un arrêt qui reçoit les honneurs de la publication au bulletin, la chambre sociale de la Cour de Cassation recadre le débat : Si certes, la juridiction sociale n’est pas compétente pour juger de la validité d’une clause issue d’un pacte d’actionnaires, en revanche elle le demeure pour les demandes de réparation de préjudice subi par la mise en œuvre dudit pacte.
Source : Cour de Cassation, Chambre Sociale, 7 juin 2023 N°21.24.514 – Publié au Bulletin
I – Les circonstances du cas d’espèce.
A l’origine de ce contentieux, une salariée, Directrice adjointe, souscrit à l’émission de bons de souscription d’actions (Ci-après « BSA »). Des difficultés apparaissent, elle saisit la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, et va finalement prendre acte de la rupture de son contrat travail.
Quelques jours plus tard, le Directeur général lui notifie le rachat forcé de ses BSA à un prix inférieur au prix d’acquisition, en invoquant l’application d’une clause du Pacte d’actionnaires.
Considérant que l’application de la clause dudit pacte lui cause préjudice, celle-ci saisit la juridiction prud’homale de cette difficulté, considérant que :
« l’octroi par l’employeur à un salarié d’une option donnant droit à une souscription d’actions et à l’attribution gratuite d’actions constitue un accessoire du contrat de travail dont la connaissance relève du conseil de prud’homme »
II – Les bons de souscription d’action
Avant d’aller plus loin, retour sur la définition d’un Bon de Souscription d’Action.
Il s’agit d’un produit financier permettant d’acheter une action à un prix convenu à l’avance, jusqu’à une date précise. Les BSA constituent des valeurs mobilières donnant le droit (et non l’obligation) à un potentiel investisseur d’acquérir ces actions, quand bon lui semble, à l’intérieur de la période donnée.
Evidemment, ces BSA ne donnent pas droit à versement de dividendes puisque tant qu’ils ne sont pas levés, l’investisseur en question n’est pas encore actionnaire.
C’est là tout l’enjeu de ce dossier.
III – La procédure
Les juges du premier degré se sont déclarés incompétents au profit du tribunal de commerce, sur la question de la validité de la clause incluse dans le Pacte d’actionnaire. Ils ont rejeté toutes demandes formulées par l’ex-salariée, et notamment celles portant sur le caractère abusif et irrégulier de la cession de BSA postérieurement à la rupture de son contrat de travail. Les juges n’ont pas davantage accepté d’étudier l’indemnisation du préjudice qui pourrait découler de l’application dudit pacte.
La difficulté dans cette affaire est que, certes les problématiques issues des relations société et salariés sont traitées par le Conseil des prud’hommes, ou par le Tribunal de commerce si ledit salarié est par ailleurs devenu actionnaire de la société qui l’emploi, mais quid en présence de BSA ?
L’ex-salariée, qui n’est jamais devenue actionnaire de la société, considère que l’octroi d’une option, par l’employeur au salarié, donnant droit à une souscription d’actions constituerait un accessoire au contrat de travail, de sorte que le rachat forcé des BSA relèverait du conseil des prud’hommes. En l’occurrence, elle revendique l’existence d’un litige qui porte sur le rachat de ses BSA auxquels elle a souscrit en sa seule qualité de salariée.
Elle se heurte à l’appréciation des juges du fonds qui considèrent que la juridiction sociale n’est pas compétente pour juger de la validité d’une clause issue d’un pacte d’actionnaire, lequel prévoyait précisément les conditions du rachat forcé de BSA pour tout salarié quittant l’entreprise. L’examen dudit pacte ou de ses conséquences préjudiciables relèverait à leur sens, exclusivement de la compétence de la juridiction commerciale.
IV – La Cour de Cassation
Au visa de l’article L1411-1 du Code du travail, lequel prévoit :
« Le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.
Il juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti ».
les litiges entre employeurs et salariés entrent dans la compétence du Conseil des prud’hommes.
La Haute Cour explique alors :
« 8. Il en résulte que la demande en paiement de dommages-intérêts d’un salarié en réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait de son licenciement constitue un différend né à l’occasion du contrat de travail ».
Les juges du Quai de l’Horloge considèrent que la juridiction prud’homale « est compétente pour connaître d’une action en réparation du préjudice subi par un salarié en exécution d’un pacte d’actionnaires prévoyant en cas de licenciement d’un salarié, la cession immédiate de ses actions à un prix déterminé annuellement par la majorité des actionnaires qui constitue un différend né à l’occasion du contrat de travail ».
En effet, si certes les juges de la Chambre sociale ne peuvent intervenir pour juger de la validité d’une clause issue d’un pacte d’actionnaire, compétence appartenant aux juges consulaires, ils peuvent toutefois statuer, sur une demande de réparation du préjudice qui en découlerait pour le salarié au titre de la mise en œuvre de ce pacte.
C’est ainsi que la Haute Cour censure ses confrères, qui s’étaient déclarés incompétents. L’affaire est renvoyée vers les juges du fond qui auront donc l’obligation de statuer sur le préjudice revendiqué par l’ex-salariée.
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