SOURCE : Arrêt de la Cour d’appel de Bourges du 26 mars 2021, n°19/01169
En matière de contentieux prud’homal, la preuve est libre, toutefois les moyens permettant de l’obtenir ne doivent pas être déloyaux.
La digitalisation de la relation de travail, conduit à intégrer au sein de l’entreprise de nombreux outils numériques capables d’enregistrer des conversations, de stocker des données, de photographier des faits.
La jurisprudence récente de la Cour de cassation a d’ailleurs privilégié le droit à la preuve sur le droit au respect de la vie privée du salarié, notamment en acceptant que l’employeur produise :
La publication d’un post Facebook rédigé par la salariée, transmis par un tiers afin de justifier son licenciement pour faute grave[1];
Un procès-verbal de constat d’huissier établissant que l’adresse IP utilisée dans le cadre des faits litigieux était effectivement celle dudit salarié[2].
Par ces décisions, la Cour de cassation rappelait en premier lieu sa propre jurisprudence suivant laquelle le droit de la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié, à condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi[3].
Cette primauté du droit à la preuve avait ému la doctrine qui considérait que l’application du principe de proportionnalité par la Cour de cassation dans ces récents arrêts, ouvrait droit à l’admission d’une preuve illicite.
L’article 226-1 du Code pénal réprime l’atteinte à la vie privée qui est caractérisée notamment par la captation, l’enregistrement ou la transmission, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel.
C’est tout l’objet de l’arrêt de la Cour d’appel de Bourges, puisqu’un salarié s’estimant victime de discrimination en raison de sa religion, une promotion lui ayant été refusée à deux reprises ; produisait au débat un enregistrement audio d’une conversation qu’il a eue avec le Président de l’Association dans laquelle il était salarié.
La cour estime qu’il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que :
« Le droit à la preuve peut justifier la production en justice d’éléments extraits d’une conversation, même privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. »
La cour considère donc qu’il n’apparaît pas en l’espèce que cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, dans la mesure où il s’agit d’une conversation entre le salarié et l’employeur, dans un cadre professionnel, avec un objet professionnel, aux termes de laquelle l’employeur se livre à des confidences utiles aux prétentions du salarié, sans pour autant qu’il en résulte un préjudice pour son interlocuteur.
Dans ces conditions, l’enregistrement pouvait être admis.
Le raisonnement des juges est intéressant dans la mesure où ils font directement application du principe de proportionnalité consacré par la Cour de cassation pour accepter lors des débats un enregistrement réalisé à l’insu de l’employeur.
Toutefois, les éléments de justification apportés par l’employeur ont permis d’écarter la discrimination alléguée.
Le débat de l’admissibilité de ce mode de preuve est donc lancé et la Cour de cassation devra prochainement se prononcer afin d’éclaircir sa position.
[1] http://vivaldi-chronos.com/ressources-humaines/rupture-du-contrat-de-travail/lutilisation-par-lemployeur-des-messages-facebook-du-salarie/
[2] http://vivaldi-chronos.com/ressources-humaines/rgpd-et-protection-des-donnees-personnelles/quand-latteinte-aux-donnees-personnelles-du-salarie-est-justifiee-par-le-droit-a-la-preuve/
[3] Cass. Soc. 9 novembre 2016, n° 15-10.203