Le placement du point de départ de la prescription quinquennale en cas de perte financière

Thomas Chinaglia

Le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en a pas eu précédemment connaissance.

Com. 5 mars 2025, n° 23-23.918

I –

En l’espèce, une société de gestion de patrimoine démarche entre septembre 2006 et janvier 2010 une personne physique pour que cette dernière puisse acquérir plusieurs biens immobiliers grâce à des prêts souscrits dans cette optique. La société avait présenté à son client les avantages d’une telle opération par la possibilité de réductions d’impôts en louant les immeubles ainsi achetés.

L’acquéreur ne parvient malheureusement pas à rembourser ses emprunts grâce aux loyers, la rentabilité locative étant trop basse après la période de défiscalisation.

Ce dernier décide donc d’assigner en responsabilité la société de gestion de patrimoine en lui reprochant avoir commis des manœuvres dolosives à son encontre et pour avoir réalisé des pratiques commerciales déloyales à son encontre. Parallèlement, l’action en responsabilité s’appuyait également, et de manière classique, sur des manquements aux obligations d’information, de conseil et de mise en garde.

La société de gestion de patrimoine soulève alors l’irrecevabilité de l’action au motif en arguant la prescription extinctive. Les juges du fond décident que la prescription est en effet consommée, tant pour la surévaluation des biens que pour le risque de baisse de rentabilité locative.

L’acquéreur se pourvoit en cassation en reprochant directement à ce raisonnement une erreur s’agissant du point de départ de la prescription extinctive prévu à l’article L.110-4 du Code de commerce. La Cour de cassation lui donne raison et casse l’arrêt.

II –

Pour rappel, les articles 2224 du Code de civil et L.110-4 du Code de commerce posent le principe de la prescription quinquennale de droit commun.

L’article 2224 du Code civil dispose :

« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

L’article L.110-4, I. du Code de commerce dispose :

« I.-Les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes. […] »

Afin de compléter ces textes, la Cour de cassation affirmait en l’espèce : « les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, sans que la durée totale puisse excéder celle de 10 ans ».

La Cour de cassation affirmait que le délai de prescription de l’action en responsabilité, qu’elle soit de nature contractuelle ou délictuelle, court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en a pas eu précédemment connaissance.

Ainsi, au cas d’espèce, le dommage dont se prévalait l’acquéreur ne pouvait se réaliser qu’à la revente des biens immobiliers acquis et dont la revente n’atteignait pas les résultats préalablement visés. En effet, les immeubles avaient été revendus à des prix nettement inférieurs à ceux escomptés.

On comprend bien en quoi la notion de point de départ de la prescription extinctive est primordiale. Une autre solution consistant à prendre en compte la date de la vente initiale conduirait au retour d’un simulacre de point de départ fixe de la prescription extinctive. La matérialisation du dommage lié à la faute de la société ne peut avoir lieu, en l’espèce, qu’au moment où l’acquéreur initial se rend compte de sa perte financière.

Ce moment ne doit pas être placé dès la conclusion initiale des opérations immobilières considérées car au moment de celles-ci, l’acquéreur conseillé pensait réaliser une bonne opération en raison de la défiscalisation. Ce n’est qu’à la revente que le dommage apparaît à ses yeux. Le décalage du point de départ de la prescription aboutit à respecter le caractère glissant de celui-ci puisque c’est à ce moment où le titulaire connaît les faits permettant d’exercer son droit à réparation.

Sur le fond, la solution est conforme aux lignes directrices connues en matière de point de départ d’une action en responsabilité contractuelle ou délictuelle mais a le mérite de rappeler la particularité de l’action en responsabilité liée à un préjudice de pertes financières. Concernant la charge de la preuve du point de départ d’un délai de prescription, celle-ci incombe naturellement à celui qui invoque ladite fin de non-recevoir.

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