Le délai raisonnable pour agir contre l’administration apprécié par la Cour de Cassation

Caroline DEVE
Caroline DEVE - Avocat

La Cour de Cassation ne partage pas l’analyse du Conseil d’État en la matière

Source : CCass, 8/03/2024 n°21-21230 publié au Bulletin

De façon générale, lorsqu’un justiciable veut contester une décision de l’administration rendue à son encontre ou une somme mise à sa charge, il doit respecter un certain délai. A défaut, son action sera irrecevable car tardive.

En matière fiscale, c’est l’article  R196-2 du Livre des Procédures Fiscales (LPF) qui fixe ce délai qui est généralement de 2 ans à compter de la réception de l’avis d’imposition.

L’article R. 421-5 du code de justice administrative prévoit néanmoins que les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision.

Ainsi, si le justiciable n’a pas été informé des voies de recours s’offrant à lui, il n’est pas tenu de respecter le délai qui doit normalement s’appliquer.

Le Conseil d’État a cependant, dans un arrêt rendu le 13 juillet 2016[1], jugé qu’un justiciable ne peut exercer plus de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable qu’il a fixé à un an.

Cette jurisprudence a été étendue à la matière fiscale par un arrêt rendu du 31 mars 2017 commenté dans le cadre de la présente newsletter.

La question qui se pose dans l’arrêt de la Cour de Cassation qui nous intéresse est de savoir si cette jurisprudence définissant le délai raisonnable s’applique également lorsque le recours doit être introduit devant une juridiction judicaire.

L’administration dont le titre exécutoire était remis en cause invoquait cette jurisprudence du Conseil d’État  pour voir rejeter l’action du débiteur comme tardive.

Il convient de rappeler, qu’en matière judiciaire, il existe une règle similaire puisque l’article 680 du code de procédure civile dispose que l’acte de notification d’un jugement à une partie doit, pour faire courir le délai de recours, indiquer de manière très apparente les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé. À défaut, le délai de recours ne court pas.

Jusqu’à présent, les juridictions judiciaires n’ont pas enfermé la possibilité de recours dans un délai raisonnable.

Si la Cour de Cassation reconnaît que « pour répondre, notamment, aux impératifs de clarté et de prévisibilité du droit, une convergence jurisprudentielle entre les deux ordres de juridiction est recherchée lorsqu’il est statué sur des questions en partage », elle refuse de faire application de la jurisprudence administrative.

La Cour de Cassation juge d’une part que « le risque de contestation d’actes ou de décisions sans limite de durée ne se présente pas dans les mêmes termes devant les juridictions judiciaires devant lesquelles les règles de la prescription extinctive suffisent en principe à répondre à l’exigence de sécurité juridique ».

Elle juge d’autre part que « la règle issue de l’article 680 du code de procédure civile constitue un principe général qui s’applique devant les juridictions judiciaires, quelle que soit la nature de cette décision ou de cet acte et celle des voies et délais de recours. Transposer la solution dégagée par le Conseil d’État pourrait conduire à étendre cette règle à tous les délais de recours, ce qui remettrait en cause l’application de ce principe général et pourrait porter atteinte à l’équilibre des droits des parties dans le procès civil ».

La Cour de Cassation maintient donc sa jurisprudence « qui se justifie par les principes et règles applicables devant le juge civil, permet un juste équilibre entre le droit du créancier public de recouvrer les sommes qui lui sont dues et le droit du débiteur d’accéder au juge ».

Les justifiables de l’ordre judiciaire ne sont donc pas « à la montre » comme ceux dépendant de l’ordre administratif…

La décision commentée concerne la contestation de titres exécutoires émis pour le recouvrement de factures d’eau dues à des collectivités locales mais compte tenu de la formation ayant rendu l’arrêt (chambre plénière), cette décision doit être considérée comme ayant une portée générale et s’appliquer notamment pour le contentieux fiscal relevant des juridictions judiciaires (droits d’enregistrement notamment).


[1] N°387763, Publié au recueil Lebon

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