Le défaut de fabrication est un vice caché

Amandine Roglin
Amandine Roglin

Le défaut de fabrication caractérisant une inaptitude de la chose vendue à son usage normal constitue un vice caché.

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 6 juillet 2023, 22-12.872

I –

En l’espèce, un couple fait appel à une entreprise pour la pose d’une terrasse en bois.

Postérieurement à l’achèvement des travaux , les maîtres d’ouvrage s’aperçoivent que les lames de bois se déforment.

Ils assignent donc la société qui a posé la terrasse ainsi que son fournisseur.

II –

En cause d’appel, l’entreprise et son fournisseur sont condamnés in solidum à indemniser les maîtres d’ouvrage, sur le fondement de l’obligation de délivrance conforme.

III –

L’entreprise forme un pourvoi en cassation.

Elle considère que le défaut de fabrication affectant les lames de bois de la terrasse ne relève pas de l’obligation de délivrance conforme mais de la garantie des vices cachés. Or, selon les dispositions de l’article 1648 du Code civil, l’action fondée sur les vices rédhibitoires doit être intentée dans un délai de 2 ans à compter de la découverte du vice, de telle sorte que les demandes des maîtres d’ouvrage seraient prescrites.

IV –

L’arrêt de la Cour d’appel est cassé pour les motifs suivants :

« Vu l’article 1641 du code civil :

Aux termes de ce texte, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus.

Il en résulte que lorsque le défaut qui affecte le bien vendu le rend impropre à son usage normal, l’action en garantie des vices cachés constitue l’unique fondement possible de la demande de l’acquéreur.

Pour condamner la société Piveteau bois à indemniser les maîtres de l’ouvrage, l’arrêt retient que les dommages affectant les lames de la terrasse ne caractérisent pas une inaptitude de la chose vendue à son usage normal, au sens de l’article 1641 du code civil, mais une inaptitude à l’utilisation contractuellement définie, les lames en matériau composite étant destinées à la construction des terrasses. Il en déduit que la société Piveteau bois ne peut se prévaloir du bref délai de l’article 1648 du code civil.

En statuant ainsi, alors qu’elle retenait que les désordres rendant l’ouvrage dangereux avaient pour cause un phénomène de dilatation des lames ayant pour effet un allongement supérieur à ce qui était annoncé par le fabricant et que la société Piveteau bois reconnaissait l’existence d’un défaut de fabrication de certains lots fabriqués en 2010 et 2011, se traduisant par un allongement anormal des lames à l’origine de déformations, ce dont il résultait que les matériaux vendus, destinés à la construction de terrasses, étaient impropres à leur usage normal, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ».

V –

La frontière entre vice caché et défaut de conformité peut être difficile à appréhender.

La difficulté de distinguer le vice caché de la non-conformité avait conduit une partie de la doctrine à proposer d’élargir la notion de délivrance conforme à celle de conformité « fonctionnelle », impliquant que la chose vendue permette de remplir l’usage attendu de l’acheteur. Cette fusion des deux notions présentait l’avantage pour l’acheteur d’échapper au bref délai de l’action en garantie des vices cachés.

La jurisprudence avait un temps suivi cette conception en acceptant d’indemniser certains vices cachés par le biais de la non-conformité (Civ. 1re , 5 nov. 1985, à propos d’une moto affectée d’un vice caché, qui était en même temps un défaut de sécurité : non-conformité ; Civ. 1re, 8 nov. 1988, relatif à une piscine de rééducation fonctionnelle défectueuse : le vendeur aurait du « délivrer une chose conforme à l’usage auquel elle est destinée » ; Civ. 1re , 14 févr. 1989, à propos d’un système d’alarme contre le vol : la cour d’appel aurait dû vérifier si « le vice de conception relevé ne devait pas s’analyser, eu égard aux circonstances de la cause, en un manquement du vendeur installateur à son obligation de délivrer une chose conforme à sa destination normale »).

L’Assemblée plénière avait même implicitement consacré la notion de délivrance fonctionnelle (Ass. plén. 7 févr. 1986).

Cette position n’était cependant pas partagée par la 3ème chambre civile qui a continué à maintenir la distinction (Civ. 3e, 25 janv. 1989 ; Civ. 3e, 27 mars 1991 ; Civ. 3e, 23 oct. 1991, à propos d’une vente d’un matériau utilisé pour assurer l’étanchéité d’une terrasse relevant qu’il est affecté d’un vice caché).

En 1993, la jurisprudence est revenue sur le principe de la distinction entre non-conformité et vice caché en réaffirmant que les défauts rendant la chose impropre à son usage normal sont des vices cachés (Civ. 1re, 5 mai 1993), ce dont il résulte un principe d’interdiction de cumul des actions.

L’action en garantie des vices cachés est donc la seule action susceptible d’être intentée par l’acheteur lorsque la chose est atteinte d’un vice d’usage, ce que la Cour a déjà eu l’occasion d’affirmer à propos de l’acheteur insatisfait du véhicule d’occasion dont il a fait l’acquisition (v. Civ. 1re, 19 févr. 2002 : s’agissant de la vente d’une voiture atteinte d’un défaut de structure consécutif à un accident, est déclarée irrecevable l’action de l’acheteur fondée sur l’article 1603 C. civ. dès lors qu’il n’est pas établi que le vendeur ait eu connaissance l’accident, la seule action ouverte étant celle en garantie des vices cachés).

L’arrêt commenté s’inscrit donc dans une jurisprudence constante s’agissant de la 3ème chambre civile qui n’a finalement jamais modifié sa position.

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