Plus aucun recours n’est possible contre l’assureur liquidé garantissant la responsabilité décennale ou la responsabilité civile d’un constructeur

Amandine Roglin
Amandine Roglin

Cet arrêt illustre encore une fois les difficultés pratiques entourant la souscription de polices d’assurance obligatoire de responsabilité décennale et facultative de responsabilité civile par de nombreux constructeurs auprès d’assureurs européens ne bénéficiant d’aucune antériorité ni d’aucune garantie financière par le biais d’intermédiaires ayant la qualité de courtiers grossistes.

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 12 octobre 2022, 21-21.427, Publié au bulletin

I –

Un maître d’ouvrage a confié la réfection de la toiture d’un bâtiment à un constructeur assuré au titre de sa responsabilité décennale et au titre de sa responsabilité civile professionnelle auprès de la société AXA France IARD jusqu’en janvier 2014 puis, auprès de la société ELITE, dont le siège est situé à Gibraltar, laquelle a été placée en liquidation judiciaire en décembre 2019.

Après réception des travaux, des désordres sont survenus en février 2014.

Après expertise, le maître d’ouvrage a assigné le constructeur et ses deux assureurs en vue d’être indemnisé de ses préjudices matériels et immatériels.

II

La Cour d’appel a limité la garantie de la société AXA aux seuls désordres matériels de nature décennale au motif que la police souscrite auprès d’AXA avait été résiliée et qu’une autre police garantissant notamment les préjudices matériels et immatériels consécutifs avait été souscrite auprès de la société ELITE.

Le constructeur a formé un pourvoi en cassation.

A l’appui de son pourvoi, le constructeur a tenté de mettre en œuvre la garantie subséquente dans l’objectif de se voir intégralement garantir par AXA, son premier assureur, solvable, contrairement au second.

Il affirmait que, dans la mesure où, la police souscrite chez ELITE prévoyait une garantie sur base réclamation et que la société ELITE avait été déclarée insolvable, il fallait considérer que la garantie facultative n’avait pas été resouscrite dans le délai subséquent et que, dès lors, la société AXA devait garantir le constructeur au titre des préjudices immatériels quand bien même ces préjudices seraient nés après résiliation de la police d’assurance, en application de la garantie subséquente.

II –

Pour comprendre cet arrêt d’appel, il convient de revenir sur la règle de la garantie subséquente.

Cette règle est énoncée à l’article L.124-5 alinéa 4 du code des assurances lequel dispose :

« La garantie déclenchée par la réclamation couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie, et que la première réclamation est adressée à l’assuré ou à son assureur entre la prise d’effet initiale de la garantie et l’expiration d’un délai subséquent à sa date de résiliation ou d’expiration mentionné par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres. Toutefois, la garantie ne couvre les sinistres dont le fait dommageable a été connu de l’assuré postérieurement à la date de résiliation ou d’expiration que si, au moment où l’assuré a eu connaissance de ce fait dommageable, cette garantie n’a pas été resouscrite ou l’a été sur la base du déclenchement par le fait dommageable. L’assureur ne couvre pas l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s’il établit que l’assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie ».

En d’autres termes, lorsque la police d’assurance a été résiliée et que le sinistre est survenu dans le délai subséquent indiqué au contrat [en général 5 ou 10 ans] sans que l’assuré ait resouscrit cette garantie auprès d’un autre assureur alors l’assureur dont la police a été résilié doit sa garantie.

En l’espèce, le constructeur a tenté de mettre en avant l’insolvabilité de son nouvel assureur pour mettre en œuvre la garantie de la société AXA au titre du délai subséquent en prétendant que, du fait de l’insolvabilité du nouvel assureur, il fallait considérer que la garantie n’avait pas été resouscrite, en l’occurrence ici, la garantie responsabilité civile professionnel.

III –

La Cour de cassation n’a pas suivi ce raisonnement et a confirmé l’arrêt rendu par la Cour d’appel en ces termes :

« Aux termes de l’article L. 124-5, alinéa 4, du code des assurances, (…).

Il résulte de ce texte que, lorsque l’assuré a eu connaissance du dommage postérieurement à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie d’un premier contrat, en base réclamation, la souscription de la même garantie, en base réclamation, auprès d’un second assureur met irrévocablement fin à la période de garantie subséquente attachée au contrat initial.

La cour d’appel a relevé que les garanties complémentaires souscrites par la société Dragui constructions auprès de la société AXA incluant les dommages matériels aux existants et les dommages immatériels étaient déclenchées en base réclamation, que ce contrat avait été résilié au 1er janvier 2014 et que l’entreprise avait souscrit, le 7 janvier suivant, une même garantie, en base réclamation, auprès de la société Elite.

Elle en a exactement déduit, le sinistre ayant été connu de l’assuré postérieurement à la résiliation de la police souscrite auprès de la société AXA, que celle-ci n’était pas tenue aux garanties de l’assurance facultative au titre de la période subséquente ».

IV –

Cet arrêt est finalement assez logique puisqu’il s’en tient à la lettre de la loi.

La Cour a écarté les dispositions de l’article L.124-5 du Code des assurances, les garanties ayant été resouscrites chez un nouvel assureur, peu importe que ces garanties soient privées d’efficacité en raison de la mise en liquidation de ce dernier.

Evidemment, cette décision va à l’encontre de l’esprit des dispositions protectrices de l’article L.124-5 du Code des assurances lesquelles ont été créées en vue d’assurer une parfaite continuité des garanties en cas de changement d’assureurs couvrant la responsabilité civile mais il est également vrai qu’à l’époque, soit en 2003, personne ne pouvait anticiper la possibilité d’une insolvabilité d’un assureur du fait de l’ouverture au marché européen.

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