Source : Président du Tribunal de Grande Instance de Paris, ordonnance de référé du 16 novembre 2018, M. X. / Umanlife
L’article 9 du Code civil, instituant le droit à la vie privée, est également le point d’ancrage du droit à l’image, depuis un arrêt de la Cour de cassation en date du 13 janvier 1998 (pourvoi n°95-13.694), dont l’attendu de principe est le suivant :
« Vu l’article 9 du Code civil ;
Attendu que selon ce texte, chacun a le droit de s’opposer à la reproduction de son image et que cette reproduction sous forme de caricature n’est licite, selon les lois du genre, que pour assurer le plein exercice de la liberté d’expression ».
La profession de mannequin est sans incidence sur le droit exclusif qu’a celui-ci d’autoriser ou d’interdire l’utilisation de son image. La jurisprudence a ensuite précisé à plusieurs reprises que le contrat portant cession de droits à l’image concernant un mannequin devait stipuler de façon suffisamment claire les limites de l’autorisation donnée quant à sa durée, son domaine géographique, la nature des supports, et l’exclusion de certaines utilisations.
En l’espèce, un mannequin a tourné un film publicitaire pour promouvoir la marque Umanlife au terme d’un contrat d’ « acteur de complément-figurant » du 24 septembre 2013 signé avec la société de production audiovisuelle Sky Creative, portant l’autorisation d’exploiter son image pour une durée de deux ans pour le support web, sans aucune indication sur le point de départ de cette durée.
Le mannequin ayant constaté que la vidéo litigieuse était toujours visible sur la chaîne Youtube et le site Internet de la société Umanlife le 14 octobre 2016, il a saisi le Juge des référés près le Tribunal de Grande Instance de Paris afin d’obtenir la cessation de la diffusion du clip publicitaire et une indemnisation pour son préjudice patrimonial, faisant valoir l’exploitation de son image sans droit ni titre, au-delà du 24 septembre 2015.
En défense, la société Umanlife a conclu à l’absence d’atteinte au droit à l’image, dès lors que le visage du mannequin avait fait l’objet d’un « floutage », ne laissant plus apparaître que son corps.
Ainsi, la question se posait de savoir si la représentation du seul corps d’une personne pouvait porter atteinte au droit à l’image, à défaut de pouvoir l’identifier grâce à son visage.
Aux termes de son ordonnance, le Juge des référés rappelle tout d’abord la valeur patrimoniale du droit à l’image, de sorte que celui-ci peut valablement donner lieu à l’établissement de contrats, soumis au régime général des obligations, entre le cédant, qui dispose de la maîtrise juridique sur son image, et le cessionnaire, qui devient titulaire des prérogatives attachées à ce droit.
En l’espèce, le contrat signé le 24 septembre 2013 stipulait que « l’autorisation expresse que votre image ainsi fixée sur la pellicule en vue de l’exploitation de ces films, par tous modes et procédés connus ou inconnus à ce jour, en toutes langues, pour le support du web uniquement (site internet Umanlife et réseaux sociaux, …) en tous formats, par tous moyens et représentations, dans le monde entier, intégralement ou partiellement et ce pour une durée de 2 ans pour laquelle les droits ont été acquis les droits des auteurs y compris tous renouvellement de ces droits ».
Ainsi, le Juge des référés observe que si la durée de la cession est bien fixée, à défaut de point de départ de celle-ci, il convient d’interpréter le contrat à la lumière de la volonté des parties. Or, il s’avère que la société Umanlife avait versé une indemnisation spécifique à la partenaire du mannequin dans le clip promotionnel pour l’utilisation de ses droits à l’image sur la période du 24 septembre 2015 au 24 septembre 2017. Le Juge en déduit que l’autorisation d’exploitation de l’image du mannequin avait été consentie seulement jusqu’au 24 septembre 2015.
Concernant le deuxième point en débat, le Juge des référés reconnaît le corps comme l’un des attributs de la personnalité soumis au droit à l’image, en ces termes :
« Toute personne, fût-elle mannequin, dispose sur son image et l’utilisation qui en est faite un droit exclusif, dont la seule violation caractérise l’urgence, et ce peu importe que le visage du demandeur soit “flouté” ou non au jour de l’audience, dès lors que le reste de son corps, attribut du droit à l’image, apparaît. Aussi, le trouble illicite est manifestement caractérisé avec l’évidence requise en référé ».
Cette décision s’avère inédite, car la jurisprudence considérait jusqu’alors qu’à défaut de pouvoir identifier la personne par un signe distinctif, tel un tatouage, la seule représentation du corps ne permettait pas d’agir au titre du droit à l’image.
Virginie PERDRIEUX
Vivaldi-Avocats