Source : CA POITIERS, 9 janvier 2018, n° 16-04395.
L’Ordonnance de 2014, réformant le droit des procédures collectives, a introduit un troisième alinéa à l’article L. 622-24 du Code de Commerce sur lequel les praticiens continuent de s’interroger et pour lequel la jurisprudence commence tout juste à s’affiner. Il s’agit de la controverse des déclarations par la société en procédure collective de la créance de son propre créancier. Cette « déclaration pour compte de » est donc le troisième alinéa de l’article L. 622-24, qui dispose :
« Lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du Mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n’a pas adressé la déclaration de créance prévue au premier alinéa. »
Plusieurs textes viennent compléter l’article L. 622-24, mais par renvois multiples qui en rendent la lecture très complexe. Les dispositions peuvent ainsi être synthétisées comme suit :
– Le débiteur qui a porté une créance à la connaissance du Mandataire judiciaire est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n’a pas adressé la déclaration de créance (L. 622-24) ;
– Le débiteur doit avoir porté à la connaissance du Mandataire cette créance dans le délai habituel de déclaration de créance, soit dans les deux mois de la publication du jugement au BODACC (R. 622-24 du Code de Commerce) ;
– La déclaration faite par le débiteur doit comporter les éléments prévus aux deux premiers alinéas de l’article L. 622-25, c’est-à-dire :
– le montant de la créance due au jour du jugement d’ouverture avec indication des sommes à échoir et de la date de leur échéance. Elle doit préciser la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie (L. 622-25 al. 1°) ;
– lorsqu’il s’agit d’une créance en monnaie étrangère, la conversion en euros a lieu selon le cours du change à la date du jugement d’ouverture (L. 622-25 al. 2°) ;
– le cas échéant, elle comporte également les éléments prévuspar le deuxièmement de l’article R. 622-23 (R 622-5), c’est-à-dire les modalités de calcul des intérêts dont le cours n’est pas arrêté, cette indication valant déclaration pour le montant ultérieurement arrêté (R. 622-23).
De ce qui précède, il s’avère que le contenu de la déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier est en réalité extrêmement encadré quant à son contenu. Pour autant, les Mandataires judiciaires, encore peu au fait de la jurisprudence (et pour cause !) se fondent quasiment exclusivement sur la liste des créanciers établie par le débiteur en application de l’article L. 622-6. Or, s’il s’avère que si cette liste n’est pas suffisamment exhaustive, elle ne peut valoir déclaration pour compte du créancier, à qui il appartient de déclarer, par lui-même, sa propre créance.
Il faudrait même aller plus loin, dans la mesure où le créancier figure bien sur la liste établie par le débiteur, le Mandataire l’avertira personnellement, de sorte que le défaut de déclaration dans le délai légal pourra difficilement donner lieu à un relevé de forclusion, n’étant dû que de son seul fait.
L’arrêt de la Cour d’Appel de POITIERS est ici particulièrement intéressant, puisque la Cour s’est penchée sur le contenu de cette information, qualifiée par le Mandataire de déclaration par le débiteur pour compte du créancier.
Or, la Cour a relevé notamment que :
– seul le nom et l’adresse du créancier figuraient sur la liste fournie par le débiteur, sans montant ;
– que le montant avait quant à lui été obtenu par l’intermédiaire des documents transmis au Mandataire par le Tribunal et dont il disposait dans le cadre du dossier du dépôt de l’état de cessation des paiements, c’est-à-dire des documents transmis antérieurement à l’ouverture de la procédure collective.
De sorte que la Cour considère qu’à aucun moment le débiteur n’avait valablement déclaré la créance pour compte du créancier, ce qui paraît tout à fait logique.
En conséquence, la Cour a confirmé la décision du Tribunal qui avait considéré qu’aucune déclaration pour le compte du créancier n’avait été effectuée par le débiteur et que, corrélativement, la forclusion était opposable à ce dernier, compte tenu de la tardiveté de sa propre déclaration.
Cet arrêt, même émanant d’une Cour d’Appel, est particulièrement intéressant en ce qu’il limite de manière très importante la possibilité pour le débiteur de « déclarer pour le compte de ». Il est en effet rarissime que la liste de ses créanciers établie en application de l’article L. 622-6 comporte le niveau de privilège des créances, ou encore, par exemple pour les créances bancaires, le calcul des intérêts. L’arrêt ne se prononce pas, par exemple sur ce dernier point, sur la question de savoir si la déclaration pour compte du créancier serait alors limitée au seul principal figurant bien sur la liste, ou si la mention sur la liste, incomplète, ne vaudrait alors absolument pas déclaration de créance, c’est-à-dire même partiellement.
Assurément, la jurisprudence doit encore définir les contours de ces textes.
Etienne CHARBONNEL
Associé
Vivaldi-Avocats