Le banquier, prêteur de deniers et la qualification du contrat de construction

Geneviève FERRETTI
Geneviève FERRETTI

 

SOURCE : 3ème civ, 26 février 2013. Pourvoi n° N 12-14048,252. Jurisdata N° : 2013-003326

 

 

Bientôt 20 ans déjà !…. ensuite du dispositif légal imaginé en 1990 pour sécuriser les constructions de maisons individuelles dont quelques décisions ont tracé les contours, ou plus exactement les limites d’un rôle du banquier dont il était dit qu’il était beaucoup attendu pour sécuriser les CCMI (contrats de construction de maisons individuelles). Il était ainsi souhaité que ce professionnel, surtout et paradoxalement en sa qualité de prêteur de deniers et donc de professionnel assura pourtant la « police » de ce contrat de construction.

 

La loi n° 90-1129 du 19 décembre 1990 a mis à la charge du prêteur une mission de contrôle de la régularité du contrat pour laquelle son intervention est sollicitée.

 

De même aux termes de l’article L.231-10 (alinéa 1er) du Code de la Construction et de l’Habitation :

 

« aucun prêteur ne peut émettre une offre de prêt sans avoir vérifié que le contrat comporte celles des énonciations mentionnées à l’article L. 231-2 qui doivent y figurer au moment où l’acte lui est transmis. »

 

Il n’apparaît pas contesté que le texte n’impose au banquier aucun contrôle de la qualification du contrat de construction. La loi ne le dit donc pas.

 

Il n’est pas non plus discutable que le législateur a voulu faire peser sur le banquier le poids d’un contrôle préalable.

 

Enfin, il est également assez unanimement convenu de l’inadaptation du choix, tant il est évident que dans la logique justifiée et légitime d’une protection du consommateur immobilier, le choix d’un professionnel à raison de sa présence incontournable mais non de sa spécialité, apparaît contraire à l’objectif, en tout cas inadéquat.

 

De cette inadéquation entre l’objectif et le moyen retenu a immanquablement découlé l’insatisfaction de certaines solutions adoptées, générant divergences et insécurité à la mesure de cette oscillation entre la volonté de protéger et celle d’éviter le choix d’un moyen inadapté accompagné sûrement de ses effets économiques tout aussi incontournables.

 

Et pourtant, quelques juges du fond avaient décidé que par application de l’article L. 231-10 du Code de la construction et de l’habitation, le prêteur avait l’obligation de vérifier la qualification du contrat de construction en estimant que l’obligation limitée à une vérification formelle de l’existence d’énonciations du contrat de CCMI avec fourniture de plans, implique une vérification préalable de la nature du contrat qui lui est soumis sans se satisfaire de la qualification donnée par les parties.

  

La Cour de Cassation, sollicitée pour se prononcer clairement sur cette question à préciser que la Cour d’Appel avait pu exactement retenir que « l’obligation qui pèse sur les banques ne va pas jusqu’à leur imposer de conseiller aux accédants à la propriété tel cadre contractuel plutôt que tel autre pour réaliser leurs projets de construction »

  

Il est bien loin ce temps du contrôle purement formel de l’établissement bancaire !………..

 

Depuis quelques années la jurisprudence de la Cour de Cassation se montre impitoyable à l’égard des établissements de crédit finançant la construction de maison individuelle.

 

Dans l’arrêt présentement commenté, des époux ont signé un contrat au prix forfaitaire et global de 429 232 € pour la construction d’une villa conformément à des plans et à une notice descriptive avec un constructeur.

 

La banque leur a accordé un prêt de 450 000 € pour financer cette construction et a versé diverses sommes pour un montant de 472 539,62 €.

 

La construction n’étant pas achevée, les époux ont assigné en nullité du contrat et restitution des sommes encaissées, le constructeur, in solidum avec la banque. Le constructeur a été déclaré en liquidation judiciaire.

 

Ayant relevé que le contrat communiqué à la banque concernait « une construction sans contrat », la Cour d’Appel qui a retenu à bon droit que l’organisme prêteur ne pouvait pas imposer à ses clients le choix d’un contrat, a pu en déduire que la banque n’avait commis aucune faute en ne procédant pas à la requalification du contrat.

 

La Cour d’Appel pour mettre hors de cause la banque et débouter les époux de leur demande de dommages-intérêts dirigée contre elle, retient :

 

 

  • que ni le législateur, ni la jurisprudence n’ont souhaité étendre l’obligation pesant sur le banquier au-delà d’un contrôle purement formel      ;
  • l’organisme prêteur n’a pas à s’immiscer dans les affaires de son client en imposant le choix d’un contrat de construction de maison individuelle ;
  • le contrat prévoyait la souscription d’une assurance dommages-ouvrage ainsi que l’attestation d’un garant d’achèvement à prix et délais convenus.

 

 

La Cour d’Appel d’en déduire que l’établissement prêteur n’avait commis aucune faute.

 

Cet arrêt va être censuré par la Cour de Cassation.

 

Voici ce qu’il est jugé :

 

« Qu’en statuant ainsi, alors que la Caisse d’Epargne proposant un crédit destiné à financer la construction d’une maison individuelle devait informer ses clients des risques qu’ils encourraient, dés lors que l’acte passé avec le constructeur qualifié de « construction sans contrat », les privait des garanties légales, la Cour d’Appel n’a pas donné de base légale à sa décision »

 

Cet arrêt destiné à une large diffusion met en exergue le principe suivant lequel il était reproché à la banque d’avoir manqué à ses obligations de renseignement et de conseil, non pas en ce qu’elle n’avait pas conseillée ses clients relativement aux choix d’un contrat de construction en particulier, mais en ce qu’elle ne s’était pas interrogée sur la nature de la construction envisagée par les parties et qu’elle n’avait dés lors pas alerté ses clients non avertis sur les risques encourus eu égard au cadre contractuel choisi.

 

Geneviève FERRETTI

 

Vivaldi-Avocats

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