Par un arrêt en date du 10 juillet 2024 publié au Bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle que la demande de désignation de l’expert missionné pour déterminer la valeur des droits sociaux d’un associé interrompt la prescription de l’action en remboursement de de la valeur des droits sociaux.
https://www.courdecassation.fr/decision/668e242dfcf93851fdd644d1
I – Faits et procédure
Dans une société civile de moyens regroupant des médecins au sein d’un cabinet médical, un associé informe le gérant de sa volonté de de se retirer et de céder ses parts le 10 juin 2000. Les associés refusent de lui racheter ses parts lors de l’assemblée générale du 23 janvier 2001 et le mettent en demeure de trouver un successeur sous deux mois conformément aux statuts.
Le 8 mars 2001, sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil, l’associé saisit en référé le président du tribunal de grande instance pour que soit désigné un expert afin de déterminer la valeur de ses droits sociaux. L’affaire ayant été renvoyée au fond, un arrêt devenu irrévocable en date du 18 octobre 2012 a dit que l’associé avait été exclu de la SCM le 23 mars 2001 et qu’il ne relevait pas de la compétence de la cour d’appel de désigner un expert pour évaluer ses droits sociaux. L’associé saisit le 16 octobre 2017, en la forme des référés, le président d’un tribunal de grande instance d’une demande de désignation d’un expert aux fins de valoriser les parts qu’il détenait dans la SCM, ce dernier dépose son rapport le 12 septembre 2018.
Le 3 septembre 2020, l’associé assigne la société et ses associés afin de les faire condamner au paiement de la somme au titre du remboursement de la valeur de ses droits sociaux. Ces derniers lui opposent la prescription, ce que la cour d’appel d’Amiens valide dans un arrêt en date du 18 octobre 2022.[1]
II – Le point de départ du délai de prescription de l’action en remboursement des droits sociaux d’une SCM de médecins
Pour le demandeur au pourvoi, de l’article 1860 du Code civil découle le fait que la perte du statut d’associé ne peut être antérieure au remboursement de la valeur des droits sociaux, et que le point de départ de la prescription quinquennale ne pourrait donc courir avant la proposition de remboursement des droits sociaux par les associés. N’ayant obtenu aucune proposition de la part de ses associés, le délai de prescription n’aurait commencé à courir qu’à partir du 12 septembre 2018, date du dépôt du rapport d’expertise portant évaluation de ses droit sociaux. Formée le 3 septembre 2020, sa demande de remboursement ne serait pas prescrite.
Or, c’est oublier bien vite l’article R. 4113-69 du Code de la santé publique[2] qui fait perdre à l’associé d’une société civile de médecins les droits attachés à sa qualité d’associé dès sa cessation d’activités. La Haute juridiction en déduit que la prescription de l’action en remboursement commence à courir, lorsque l’exclusion est contestée, à compter du jour où la décision de justice relative à l’exclusion de l’associé est passée en force de chose jugée.
En l’espèce le départ du délai de prescription pour l’action en remboursement de l’associé médecin exclu de la SCM a commencé à courir le jour où l’arrêt du 18 octobre 2012 est devenu irrévocable.
III – La demande de l’article 1843-4 du Code civil interruptive de prescription
Afin de sauver son action de l’irrecevabilité de la prescription, le demandeur au pourvoi arguait du fait qu’une demande en justice, même en référé, est interruptive du délai de prescription, et non simplement suspensive comme peut l’être la demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès à laquelle fait droit le juge. Ainsi, la demande de désignation d’un expert sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil, aurait interrompu le cours de la prescription, et non suspendu.
En effet, pour la Cour de cassation, la demande de désignation d’un expert sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil est une demande en justice portée par voie d’assignation et introduisant une procédure contradictoire au fond. Elle permet donc l’interruption du cours de la prescription de l’action en remboursement de ses droits sociaux.
En l’espèce, le demandeur au pourvoi n’était donc pas prescrit lorsqu’il a introduit son action le 3 septembre 2020, moins de 5 ans après la date du dépôt du rapport d’expertise, le 12 septembre 2018 car le délai de prescription a été interrompu, in extremis, le 16 octobre 2017 par la demande de désignation d’un expert sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil.
Cet arrêt, publié au Bulletin, illustre bien l’importance procédurale de la distinction entre un acte interruptif de prescription et un acte suspensif de prescription : le premier fait courir un nouveau délai là où le second ne fait que suspendre le décompte du délai de prescription. De plus, il permet de rappeler que la demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès est suspensive de prescription, alors qu’une demande de justice, même en référé, permet d’interrompre le délai de prescription.
[1] https://www.courdecassation.fr/decision/6385af7b75a08105d473cdba
[2] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000001650873