SOURCE : article 19 du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, n°1088
Article 19
I. – Le troisième alinéa de l’article L. 642-7 du code de commerce est ainsi complété :
« Par dérogation, toute clause imposant au cessionnaire d’un bail des dispositions solidaires avec le cédant est réputée non écrite. »
II. – Les dispositions du I du présent article ne sont pas applicables aux procédures en cours au jour de la publication de la présente loi.
Tout professionnel chargé d’une cession de fonds d’entreprise se préoccupe du point de savoir si le cessionnaire disposera d’un titre lui permettant d’exploiter sans difficulté ; dans cette logique, il prend soin de vérifier le titre d’occupation du cédant et scrute les clauses qui mériteraient conseil. A ce titre, il ne saurait négliger la clause dite de solidarité qui tend à devenir de style au moins dans les baux commerciaux : elle pourrait bien permettre au bailleur de réclamer au cessionnaire les loyers impayés au jour de la cession.
Sauf à vérifier, nouvelle donne qu’imposera la loi dite PACTE, dans quel contexte intervient la cession du fonds ; car demain, mais dans certains cas seulement, une telle clause sera neutralisée. C’est le dernier épisode à ce jour de l’histoire mouvementée de la clause de solidarité.
Il n’y a pas si longtemps, le bailleur pouvait indépendamment de toute stipulation contractuelle, poursuivre le cédant au titre des loyers dont le cessionnaire ne pouvait s’acquitter postérieurement à la cession.
Puis à la fin des années 80, la Cour de cassation a, opérant un revirement, refusé au bailleur le droit de poursuivre le cédant au titre des loyers dont le cessionnaire ne pouvait s’acquitter postérieurement à la cession, si bien que les rédacteurs de baux ont pris l’habitude de prévoir qu’en cas de cession du bail, le cédant (et tous les successeurs dans le commerce) resteraient tenus des obligations nées du contrat, spécialement du paiement des loyers (voir Cass. 3ème Civ. 12 juillet 1988, Bull.Civ III n° 125, RTD Com. 1989, page 117, Obs. M.PEDAMONT). On peut ainsi lire dans de nombreux baux que « le locataire demeure garant solidaire de son cessionnaire ou sous-locataire pour le paiement des loyers, des charges, et l’exécution des conditions du bail et cette obligation de garantie s’étendra à tous les cessionnaires et sous-locataires successifs occupant ou non les lieux »
C’est ainsi qu’en pratique, le cédant parti à la retraite pouvait être poursuivi par le cessionnaire de son cessionnaire, dont il n’avait jamais entendu parler…C’est pour éviter ce scénario cauchemardesque, que la loi du 18 juin 2014, dite loi Pinel, a prévu qu’en cas de clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, ce dernier informe le cédant de tout défaut de paiement du locataire dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle la somme aurait dû être acquittée par celui-ci (art. L 145-16-1 du code de commerce) et ne peut invoquer cette clause que « durant trois ans à compter de la cession dudit bail » (L 145-16-2).
Préalablement, le législateur a tenté de neutraliser totalement cette clause en cas de procédure collective dès lors qu’elle semblait de nature à faire « capoter » la cession du fonds de l’entreprise en difficulté. On sait en effet que selon l’article L145-16 alinéa 3 du code de commerce, « en cas de cession, de fusion ou d’apport, si l’obligation de garantie ne peut plus être assurée dans les termes de la convention, le Tribunal peut y substituer toutes garanties qu’il juge suffisantes ». Or, en cas de procédure collective du cédant, en particulier en cas de liquidation judiciaire, l’obligation de garantie ne peut plus être assurée dans les termes de la convention, si bien que le bailleur peut demander une garantie de substitution ; détectée en amont de la cession, la difficulté peut suffire à la faire échouer, dès l’instant que le cédant est pratiquement incapable de fournir une garantie de substitution, par exemple une caution bancaire. Découverte en aval, la difficulté est de nature à entraîner la résiliation du bail, faute pour le cessionnaire de fournir la garantie de substitution que le bailleur peut, selon la Cour de Cassation, réclamer même après la cession du bail (sur cette solution, voir l’arrêt remarqué de la Cour de Cassation du 13 novembre 1997 : D 1998, som., page 97, Obs. A.HONORAT, RDI 1998, page 146, Obs. J.DERRUPE, Revue Loyers 1998, page 20, note TEILLIAIS).
On comprend pourquoi le législateur, conscient de la difficulté de céder un bail commercial au cours d’une procédure collective, a tenté de « neutraliser » la clause de solidarité. Mais il lui aura fallu s’y reprendre à deux fois.
Il a d’abord, en 1994, ajouté à la loi du 25 janvier 1985 un article 38-1 prévoyant que « en cas de cession du bail, toute clause imposant au cédant des dispositions solidaires avec le cessionnaire est inopposable à l’administrateur », et empêchant donc en principe de réclamer à l’administrateur une garantie de substitution.
Le texte n’était pas au bon endroit : il était maladroitement situé dans une section du redressement judiciaire intitulée « L’entreprise au cours de la période d’observation », et dès lors ne jouait pas, faute de renvoi, en liquidation judiciaire.
Maîtrisant mieux la casuistique du droit des procédures collectives, le législateur de 2005 a posé dans un article L622-15 que « en cas de cession du bail, toute clause imposant au cédant des dispositions solidaires avec le cessionnaire est réputée non écrite » ; il a surtout précisé que ce texte jouerait en redressement judiciaire (article L631-14) et en liquidation judiciaire (article L641-12).
Depuis l’ordonnance du 18 décembre 2008, l’article L641-12, remanié à cette occasion, énonce expressément et non plus par renvoi, que « le liquidateur peut céder le bail dans les conditions prévues au contrat conclu avec le bailleur, avec tous les droits et obligations qui s’y rattachent », et qu’en cas de cession, « toute clause imposant au cédant des dispositions solidaires avec le cessionnaire est réputée non écrite ».
Reste que la clause de solidarité est réputée non écrite mais seulement en ce qu’elle impose au cédant des dispositions solidaires avec le cessionnaire.
Il faut comprendre que l’article L145-16 alinéa 3 du code de commerce n’a plus sa place dans le débat, de sorte que le bailleur ne peut plus, ni réclamer une garantie de substitution, ni demander après coup la résiliation du bail. Pour autant, la neutralisation de la clause ne saurait profiter au cessionnaire si la clause, alors « bilatéralisée », ne se borne pas à imposer au cédant de payer les loyers dus par le cessionnaire mais impose aussi au cessionnaire de régler les loyers qui pourraient rester impayés au moment de la cession.
Le bailleur peut ainsi, non pas seulement poursuivre demain le cédant en cas de loyers impayés du chef du cessionnaire, mais aussi, dès aujourd’hui, demander paiement au cessionnaire si lors de la cession, le cédant n’est pas à jour de ses loyers. C’est ce qui explique qu’en présence d’un bail prévoyant que « le cessionnaire sera dans tous les cas, du seul fait de la cession, garant du paiement par le preneur de la totalité des sommes dues au titre du présent bail par le dit preneur à la date de la cession », la Cour de cassation ait permis au bailleur de poursuivre le cessionnaire nonobstant le nouvel article L 641-12 : ce texte qui doit être interprétée strictement, ne saurait empêcher le bailleur d’invoquer cette stipulation contractuelle, peu important qu’elle n’ait pas été reproduite dans l’ordonnance du juge commissaire autorisant la vente (Cass. com. 27 septembre 2011, n°10-23.539, FS-P+B ; v. notre étude « clause de solidarité et procédure collective : attention danger ! in Defrénois 2012, n°4, art. 40358).
Neutralisée côté cédant lorsque ce dernier est en procédure collective, la clause de solidarité garde donc tout son intérêt côté cessionnaire. Qui ne voit qu’elle est donc de nature à dissuader les amateurs, avertis par leur conseil ou le rédacteur de la cession, qu’ils pourront être poursuivis au titre des loyers impayés ? D’où la question que nous posions au lendemain de l’arrêt de 2011 : ne faudrait-il pas neutraliser, cette fois côté cessionnaire, la clause de solidarité ?
La future loi dite PACTE (projet de loi n°1088 relatif à la croissance et la transformation des entreprises) prévoit à cet égard de compléter le troisième alinéa de l’article L. 642-7 du code de commerce : « Par dérogation, toute clause imposant au cessionnaire d’un bail des dispositions solidaires avec le cédant est réputée non écrite », disposition qui ne sera pas applicable aux procédures en cours au jour de la publication de la loi nouvelle.
Sur le principe, il faut se réjouir de l’innovation : sur un plan économique, il n’est certainement pas satisfaisant que des cessions de fonds de commerce puissent capoter à cause de bailleurs bien conseillés qui, brandissant une clause du bail, parviennent à faire fuir les amateurs les plus motivés (voir notre étude « La cession d’actifs après la réforme du 26 juillet 2005 », Droit et Patrimoine, mars 2006, page 84). Sur le plan juridique, il suffit de rappeler que les finalités du droit de l’entreprise en difficulté – en particulier le maintien de l’emploi et la poursuite de l’activité de l’entreprise – légitiment de déroger aux principes juridiques les mieux établis, en l’occurrence la force obligatoire du contrat. C’est bien ainsi que le projet de loi présente les choses : il faut écarter « les clauses de solidarité stipulées dans les contrats de baux, en particulier les baux commerciaux, faisant obstacle à la reprise de l’entreprise en procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ».
Reste que le champ d’application de cette nouvelle mesure est déceptif : la neutralisation ne vaudra que pour la cession (globale) d’entreprise.
De prime abord la limite est logique : la cession d’entreprise au sens des articles L 642-1 et suivants est originale; elle est, comme le souligne la Cour de cassation, « judiciaire (et) forcée » (Cass. Com 1er mars 2016, n° 14-14716), de sorte qu’il est naturel d’exclure les clauses du bail qui seraient de nature à la contrarier. C’est pourquoi la jurisprudence a, depuis longtemps déjà, écarté la clause stipulant que la cession du bail est subordonnée à l’accord écrit du bailleur (Cass.Com. 6 décembre 1994, Bull.Civ. IV, n° 368, D.1997 Som.4 obs.DERRIDA). Plus récemment, elle a jugé que « la cession judiciaire forcée du contrat de bail en exécution d’un plan de cession n’a pas à respecter le droit conventionnel de préférence du bailleur (Cass.Com. 13 janvier 2015, n° 13-21 650) et que « sauf disposition contraire du jugement arrêtant le plan de cession, la cession judiciaire forcée du bail commercial en exécution de ce plan n’est pas soumise aux exigences de forme prévues par ce contrat (Cass. Com 1er mars 2016, n° 14-14716), si bien qu’il n’y pas à respecter la clause du bail imposant la forme notariée, mais seulement en cas de plan de cession.
Vérité en cession d’entreprise, erreur en dehors ! Si les clauses restrictives sont écartées quand le contrat est cédé à l’occasion d’une cession d’entreprise, elles doivent être respectées en dehors de cette hypothèse particulière. C’est cette dualité, bien connue des praticiens lorsqu’il s’agit de céder un actif au cours d’une procédure collective (v. par exemple notre étude « la remise du prix de vente en cas de procédure collective au lendemain des réformes récentes », Rép. Defrénois 2010 n° 1) que devrait consacrer le législateur avec la loi PACTE. Mais alors la clause de solidarité « bilatéralisée », qui a encore de beaux jours, risque de faire échouer la reprise d’entreprises en difficulté s’il s’agit par exemple d’une cession isolée en cas de liquidation judiciaire ? Ne pourrait-on pas sur ce point particulier, écarter la force obligatoire du contrat et généraliser sa mise à l’écart (v. nos obs. in Rép. Defrénois février 2019 ?