La lutte contre l’érosion fiscale et l’avocat fiscaliste

Clara DUBRULLE
Clara DUBRULLE

 

SOURCE : Recommandation du Parlement européen du 13 décembre 2017 à l’intention du Conseil et de la Commission à la suite de l’enquête sur le blanchiment de capitaux, l’évasion fiscale et la fraude fiscale – 2017-0491

 

Les révélations faites dans les Panama Papers ont mis à jour des informations sur des sociétés offshore utilisées par des particuliers et entreprises pour cacher des richesses, échapper aux impôts, commettre des fraudes et blanchir de l’argent. À la suite de ces révélations, le Parlement européen a mis en place une commission d’enquête chargée de déterminer si la législation européenne a été enfreinte et quels changements législatifs sont être nécessaires pour régler ce problème.

 

La Commission Pana a rendu son rapport et sa recommandation en octobre 2017.

 

Elle y affirme que « les preuves fournies par TRACFIN [montrent] que les banques, les cabinets d’avocats, les comptables et autres intermédiaires sont les principaux architectes qui conçoivent les structures et les réseaux offshore pour leurs clients, la société Mossack Fonseca n’étant pour l’essentiel qu’un prestataire de services chargé de les mettre en œuvre ».

 

La commission Pana reproche également, dans son rapport, à ces opérateurs d’être juges et parties en matière de lutte contre l’évasion fiscale, elle relève :

 

« la promiscuité et les conflits d’intérêts affectant les auditeurs et les consultants, les avocats et les cabinets d’avocats qui exercent souvent la fonction de conseillers des services de l’État pour élaborer la législation fiscale, concevoir des outils de LBC [lutte contre le blanchiment de capitaux] et même mener des enquêtes et des contrôles pour les organismes de régulation tout en offrant ou en ayant offert leurs services aux entités réglementées »

 

En conclusion, pour la Commission Pana, ces opérateurs sont insuffisamment régulés. « En raison de leur caractère multinational, les services proposés par ces intermédiaires [banques, auditeurs, conseillers fiscaux, etc.] sont extrêmement difficiles à contrôler et à sanctionner de manière appropriée ».

 

Précisons que si le conseil fiscal n’est pas règlementé en tant que tel à l’échelle de l’Union Européenne -il s’agit d’une activité dont l’accès est libre- les avocats, les commissaires aux comptes et les comptables demeurent soumis à une obligation de vigilance en matière de lutte anti blanchiment. Il existe donc une réglementation applicable à l’activité de conseil fiscal.

 

Finalement, le 12 décembre 2017, le Parlement Européen a adopté les recommandations de la Commission Pana lesquelles prévoient de nouvelles perspectives pour réguler l’activité des intermédiaires qui facilitent la planification fiscale agressive, ainsi que des mesures pour les dissuader de se livrer à la fraude et à l’évasion fiscales.

 

La planification fiscale agressive consiste à optimiser la situation des contribuables en utilisant les failles des systèmes locaux, ainsi que les différences entre les régimes applicables aux activités transfrontalières.

 

La Commission Pana avait souligné l’asymétrie règlementaire entre les différents Etats, laquelle permet ce type de pratique et donc aux contribuables et intermédiaires de mettre en place des schémas d’évasion fiscale toute en restant dans la légalité.

 

La partie relative aux avocats commence au point 112 « 4. Intermédiaires ».

 

Le Parlement européen invite le Conseil à examiner et à adopter rapidement la proposition de la Commission en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration dans le but de renforcer les obligations de déclaration des intermédiaires[2].

 

Pour rappel, la Commission européenne a proposé en juin 2017, une directive qui imposerait aux intermédiaires qui élaborent ou promeuvent des optimisations fiscales transfrontières dites agressives de communiquer les schémas à leur administration fiscale nationale.

 

Aux termes de cette proposition, les avocats exerçant dans le domaine fiscal devront communiquer des informations aux autorités fiscales locales chargées de valider les états financiers d’un contribuable. Les informations seront ensuite échangées automatiquement avec d’autres autorités fiscales dans l’Union Européenne.

 

Le Parlement recommande, en outre, que des règles relatives aux intermédiaires fiscaux soient élaborées en vue de les dissuader de se livrer à la fraude et à l’évasion fiscales et des protéger les bénéficiaires effectifs.

 

Le Parlement souligne, « lorsque l’intermédiaire est établi hors du territoire de l’Union, que le contribuable concerné doit être tenu de transmettre directement ses dispositifs de planification fiscale potentiellement agressive, avant leur mise en œuvre, aux autorités fiscales de son pays afin que ces dernières puissent réagir aux risques fiscaux en prenant des mesures appropriées ».

 

Comment cette obligation de transmettre à l’administration fiscale nationale des informations potentiellement compromettante peut elle s’articuler avec le secret professionnel auquel est tenu l’avocat à l’égard de son client (article 2.1 du RIN) ? Les recommandations adoptées confient aux instances nationales le soin de concilier ces deux points.

 

Le Parlement européen « invite le secteur à adopter une méthode par laquelle le secret professionnel auquel sont tenus les avocats ne s’oppose pas à la déclaration appropriée des transactions suspectes ou d’autres activités potentiellement illégales sans préjudice des droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne et les principes généraux du droit pénal ou à perfectionner la méthode actuellement dans ce même but »[3].

 

Le texte adopté par le Parlement rappelle que le secret professionnel ne peut être utilisé à des fins de protection, de dissimulation de pratiques illégales ou de violation de l’esprit de la loi.

 

Il « demande instamment que le principe du secret professionnel entre un avocat et son client ne s’oppose pas à la déclaration appropriée des transactions suspectes ou d’autres activités potentiellement illégales sans préjudice des droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et les principes généraux du droit pénal ; invite les États membres à définir des lignes directrices sur l’interprétation et l’application du principe de protection du secret professionnel aux professionnels du secteur et à distinguer clairement conseil judiciaire traditionnel et avocats agissant en qualité d’opérateurs financiers »[4].

 

Le Parlement va encore plus loin en souhaitant que les avocats qui prodiguent des conseils à leurs clients soient tenus juridiquement coresponsables lorsqu’ils élaborent des dispositifs de planification fiscale agressive punis par la loi ou des systèmes de blanchiment de capitaux[5].

 

La portée de ces recommandations est limitée pour l’instant puisqu’une recommandation n’est pas juridiquement contraignante pour les Etats membres. Il revient donc maintenant au Conseil et à la Commission de traduire ces recommandations en droit.

 

Clara DUBRULLE

Vivaldi-Avocats 


[1] Cette notion recouvre plusieurs : la fraude fiscale, l’évasion fiscale et la planification fiscale agressive

[2] COM/2017/0335 Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration

[3] Recommandation 125

[4] Recommandation 138

[5] Recommandation 140

 

 

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