L’assujettissement du constituant d’un trust à l’ISF est constitutionnel

Clara DUBRULLE
Clara DUBRULLE

 

SOURCE : Décision n° 2017-679 QPC du 15 décembre 2017

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 885 G ter du Code général des impôts.

 

I – RAPPEL SUR LES PRINCIPES D’IMPOSITION D’UN TRUST

 

I-1. Définition du trust

 

Le trust est une institution juridique constituée par l’ensemble des relations juridiques résultant de la décision (irrévocable ou pas) d’une personne (le constituant) de confier des biens à un tiers (le gestionnaire) qui les gère (de manière discrétionnaire ou encadrée) dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un but déterminé, par exemple caritatif, avant d’en transférer éventuellement la propriété, sous conditions ou non, à un attributaire (une même personne pouvant être constituant, bénéficiaire ou attributaire).

 

Le trust permet donc de dissocier la propriété légale (appartenant au gestionnaire) et la propriété économique (appartenant au bénéficiaire). Cette conception de la propriété est inconnue en droit français où l’on applique le principe de l’unicité du patrimoine.

 

S’il est impossible de constituer en France un trust, la Cour de cassation a admis qu’un trust constitué à l’étranger produise des effets en France dès lors qu’il est constitué dans le respect des lois en vigueur dans l’Etat de création et qu’il ne comporte pas de disposition contraire à la conception française de l’ordre public international.

 

C’est dans ces conditions que la loi de finances rectificative pour 2011 a introduit dans le CGI quatre nouveaux articles[1] précisant le régime fiscal du trust.

 

Ainsi, l’article 792-0 bis du CGI définit le « trust », le « constituant » et le « bénéficiaire réputé constituant » :

 

« on entend par trust l’ensemble des relations juridiques créées dans le droit d’un Etat autre que la France par une personne qui a la qualité de constituant, par acte entre vifs ou à cause de mort, en vue d’y placer des biens ou droits, sous le contrôle d’un administrateur, dans l’intérêt d’un ou de plusieurs bénéficiaires ou pour la réalisation d’un objectif déterminé »

 

« on entend par constituant du trust soit la personne physique qui l’a constitué, soit, lorsqu’il a été constitué par une personne physique agissant à titre professionnel ou par une personne morale, la personne physique qui y a placé des biens et droits »

 

« Le bénéficiaire est réputé être un constituant du trust […], à raison des biens, droits et produits capitalisés placés dans un trust dont le constituant est décédé à la date de l’entrée en vigueur de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 […] ».

 

L’administrateur du trust a l’obligation d’en déclarer la constitution, le nom du constituant et des bénéficiaires, la modification ou l’extinction, ainsi que le contenu de ses termes dès lors que l’administrateur, le constituant ou l’un au moins des bénéficiaires a son domicile fiscal en France ou lorsque le trust comprend un bien ou un droit qui est situé en France[2].

 

I-2. Imposition du trust

 

En 2009, la Cour de cassation avait jugé que les biens placés dans un trust révocable et non discrétionnaire sont compris dans le patrimoine du constituant au motif que celui-ci a le droit de jouir et de disposer des titres confiés[3].

 

Le tribunal de grande instance de Nanterre a quant à lui, s’agissant d’un trust irrévocable et discrétionnaire, jugé que le bénéficiaire ne pouvait être assujetti à l’ISF car il ne dispose d’aucun droit réel sur des biens gérés exclusivement par l’administrateur du trust « la perception de revenus annuels provenant de deux trusts de droit américain ne suffit pas à faire peser sur leur bénéficiaire une quelconque présomption de propriété sur des valeurs mobilières, dès lors que l’administration fiscale n’apporte […] la preuve que le bénéficiaire des revenus a des droits réels représentant une valeur patrimoniale. »[4].

 

Cette solution aboutissait à n’imposer personne dans le cadre des trusts irrévocables et discrétionnaires puisque les biens du trust ne peuvent être rattachés ni au constituant, ni au bénéficiaire. Le risque était donc de voir cet outil juridique utilisé aux fins de fraude ou évasion fiscale.

 

Il a donc été prévu d’assujettir le constituant du trust à l’ISF. Cette règle est d’ailleurs similaire à celle de l’article 885 G bis du CGI s’agissant des biens transférés dans un patrimoine fiduciaire[5].

 

Depuis le 1er janvier 2012, la règle est claire, les droits ou biens placés dans un trust ainsi que les produits qui y sont capitalisés sont compris :

 

– Dans le patrimoine du constituant ;

 

– Ou, dans les cas suivants, dans le patrimoine du bénéficiaire réputé constituant[6] :

 

Si le constituant est décédé à la date de l’entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 2011 ;

 

A raison des biens et droits placés dans un trust, ainsi que de leurs produits capitalisés, qui sont soumis à des droits de mutation à titre gratuit ou sui generis (pour les transmissions réalisées par l’intermédiaire d’un trust qui ne peuvent pas être qualifiées de donation ou succession).

 

II – LA DECISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

 

Les faits de l’espèce présentée au Conseil d’Etat sont les suivants. Le requérant a constitué un trust irrévocable et discrétionnaire en 2004. Au titre des années 2012 à 2015, il a mentionné les actifs du trust pour une valeur nulle dans ses déclarations ISF.

 

A l’issu d’un contrôle, l’administration lui a notifié des rehaussements de son actif soumis à l’ISF résultant de l’intégration des sommes et valeurs mobiliers placées dans le trust.

 

Le requérant a introduit un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de la doctrine administrative prévoyant le rattachement au patrimoine du constituant des biens et droits placés dans un trust.

 

Dans le cadre de cette instance, le requérant a soulevé une QPC soutenant que les dispositions de l’article 885 G ter du CGI méconnaissent le principe d’égalité devant les charges publiques en ce qu’elles conduisent à imposer le constituant d’un trust irrévocable et discrétionnaire sur des biens dont il est dépossédé et ne dispose plus.

 

Le requérant soutenait que la présomption irréfragable de propriété pesant sur le constituant ou réputé constituant revêtait un caractère disproportionné au regard de l’objectif de lutte contre la fraude ou l’évasion fiscales.

 

Le Conseil d’Etat décide de renvoyer cette QPC au Conseil constitutionnel.

 

II-1. La jurisprudence du Conseil constitutionnel

 

Concernant l’ISF, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est abondante. Il veille à ce que l’imposition prenne en compte la faculté contributive des redevables.

 

Il a ainsi jugé « qu’une telle capacité contributive se trouve entre les mains non du nu-propriétaire mais de ceux qui bénéficient des revenus ou avantages afférents aux biens dont la propriété est démembrée »[7].

 

Dans sa décision n° 98-405, le Conseil précisait « qu’en instituant un impôt de solidarité sur la fortune, le législateur a entendu frapper la capacité contributive que confère la détention d’un ensemble de biens et de droits ; que la prise en compte de cette capacité contributive n’implique pas que seuls les biens productifs de revenus entrent dans l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune »[8].

 

Concernant l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, le Conseil constitutionnel admet que le législateur puisse déroger à la règle selon laquelle l’imposition doit être acquittée par celui qui dispose du revenu taxable.

 

Il a validé par exemple une disposition législative prévoyant que les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une personne domiciliée ou établie en France sont imposables en France au titre de l’impôt sur le revenu au nom de cette dernière[9].

 

Le Conseil constitutionnel a formulé une règle de principe selon laquelle 

 

« l’exigence de prise en compte des facultés contributives, qui résulte du principe d’égalité devant les charges publiques, implique qu’en principe, lorsque la perception d’un revenu ou d’une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource ; que s’il peut être dérogé à cette règle, notamment pour des motifs de lutte contre la fraude ou l’évasion fiscale, de telles dérogations doivent être adaptées et proportionnées à la poursuite de ces objectifs »[10].

 

II-2. L’application à l’espèce

 

Après avoir rappelé sa formulation de principe relative au principe d’égalité devant les charges publiques, le Conseil constitutionnel a précisé le dispositif instauré par l’article 885 G ter alinéa 1 du CGI :

 

« Les dispositions contestées incluent les biens ou droits placés dans un trust, ainsi que les produits qui y sont capitalisés, dans l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune dû par le constituant du trust ou de son bénéficiaire réputé constituant. Ces dispositions ne s’appliquent pas, sous certaines conditions, aux trusts irrévocables dont les bénéficiaires exclusifs relèvent de l’article 795 du CGI ».

 

Il a rappelé également l’objet de l’ISF qui est de frapper la capacité contributive que confère la détention d’un ensemble de biens et de droits.

 

Il a précisé que la présomption de rattachement au patrimoine du constituant des biens ou droits placés dans un trust, ainsi que des produits qui y sont capitalisés, ainsi instaurée, se justifiait par « la difficulté, inhérente aux trusts, de désigner la personne qui tire une capacité contributive de la détention de tels biens, droits ou produits ».

 

Le Conseil a relevé qu’en instituant ces dispositions, le législateur « s’est fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction de l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales qu’il a poursuivi ».

 

Toutefois, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation permettant au constituant du trust de renverser la présomption de rattachement à son patrimoine :

 

« Les dispositions contestées ne sauraient toutefois, sans que soit méconnue l’exigence de prise en compte des capacités contributives du constituant ou du bénéficiaire réputé constituant du trust, faire obstacle à ce que ces derniers prouvent que les biens, droits et produits en cause ne leur confèrent aucune capacité contributive, résultant notamment des avantages directs ou indirects qu’il tirent de ces biens, droits ou produits »

 

Le Conseil a précisé que la preuve incombant au redevable de l’ISF ne saurait « résulter uniquement du caractère irrévocable du trust et du pouvoir discrétionnaire de gestion de son administrateur », ce qui permet de prendre en considération les hypothèses où le dessaisissement du constituant d’un trust irrévocable et discrétionnaire n’est qu’apparent.

 

Sous la réserve mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le premier alinéa de l’article 885 G ter al.1 du CGI, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.

 

Clara DUBRULLE

Vivaldi-Avocats



[1] Articles 792-0 bis, 885 G ter, 990 J et 164 AB du CGI

[2] Le non respect de cette obligation est sanctionnée par une amende de 20 000 € (article 1736, IV bis du CGI)

[3] Cass. Com., 31 mars 2009, n° 07-20.219

[4] TGI Nanterre, 4 mai 2004, n° 03-9350, 2e ch., Poillot

[5] Article 885 G bis du CGI « Les biens ou droits transférés dans un patrimoine fiduciaire ou ceux éventuellement acquis en remploi, ainsi que les fruits tirés de l’exploitation de ces biens ou droits, sont compris dans le patrimoine du constituant pour leur valeur vénale nette. »

[6] Autrement dit, le bénéficiaire est réputé constituant lorsque les actifs du trust lui ont été transmis soit par l’effet du décès du constituant, soit de toute autre manière

[7] Décision n° 81-133 du 30 décembre 1981

[8] Décision n° 98-405 du 29 décembre 1998

[9] Décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010

[10] Décision n° 2013-684 DC du 29 décembre 2013

 

 

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