La législation française relative au TEG est-elle contraire aux conventions européennes ?

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

 

 

SOURCE : Com. 12 janv. 2016, n° 14-15.203, FS-P+B

 

Depuis l’arrêt « Société des Cafés Jacques Vabre » de 1975[1], la Cour de cassation admet la faculté de procéder à un contrôle de conventionalité des lois françaises au regard des traités européens, et ce en vertu du principe de primauté de l’ordre juridique européen sur l’ordre juridique interne[2].

 

Conscient de cette opportunité procédurale, le Crédit coopératif a saisi la Haute juridiction sur des questions de conformité des dispositions du Code monétaire et financier au Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), et sur une question de conformité de la sanction prétorienne de la déchéance des intérêts du TEG erroné au protocole additionnel n°1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH).

 

En l’espèce, la banque a ouvert, le 8 juin 2006, un compte courant à la société « Les Bagagistes », qui a contracté auprès d’elle, le 9 mars 2007, un emprunt. Invoquant des irrégularités affectant la mention ou le calcul du taux effectif global rémunérant le crédit en compte courant et le prêt, la société a assigné la banque en remboursement de diverses sommes.

 

Condamné par les juges du fond à la déchéance des intérêts conventionnels du compte courant et du prêt consenti, et leur substitution par le taux d’intérêt légal, le Crédit coopératif a formé un pourvoi en cassation, à travers duquel il a soulevé trois moyens de conventionalité :

 

        Les dispositions de l’article L. 313-4 du Code monétaire et financier imposant, sous peine de nullité de la stipulation d’intérêts, la mention du TEG pour les crédits accordés aux non-consommateurs placerait les banques soumises à la législation française dans une situation plus contraignante et donc désavantageuse par rapport à celles soumises à la législation des Etats membres de l’Union européenne qui n’imposeraient pas de mentionner le TEG pour ce type de crédits, en sorte que de telles dispositions méconnaitraient le principe de liberté de prestations de services à l’intérieur de l’Union européenne, en violation de l’article 56 du TFUE ;

 

        Les dispositions de l’article L. 313-4 du Code monétaire et financier constituerait également une restriction à la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne, et ce en violation de l’article 49 du TFUE ;

 

        Le principe de proportionnalité s’opposerait à ce que la sanction de l’inexactitude de la mention du taux effectif global soit sanctionnée, de manière automatique, par la substitution de l’intérêt légal au taux conventionnel ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel aurait violé l’article 1er du protocole n° 1 de la CESDH (droit à la propriété), ensemble l’article L. 313-4 du Code monétaire et financier et les articles L. 313-1 et L. 313-2 du Code de la consommation.

 

S’agissant des deux premiers moyens de conventionalité, la Cour de cassation balaye d’un revers de manche l’argumentation de la banque, aux motifs que « ce moyen, qui implique d’effectuer un examen de droit comparé pour déterminer si, dans l’Union européenne, cette obligation n’est imposée que par le droit français, est nouveau et mélangé de fait et de droit et, comme tel, irrecevable ». Le motif de rejet de la Cour de cassation est avant tout procédural, et n’apporte rien au débat. Dont acte.

 

Concernant le troisième moyen de conventionalité, la Cour affirme que la sanction, « fondée sur l’absence de consentement de l’emprunteur au coût global du prêt, ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit de l’établissement de crédit prêteur au respect de ses biens garanti par l’article 1er du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

 

Par un arrêt du 30 septembre 2010[3], dans une affaire où l’emprunteur se prévalait du 1er Protocole aux motifs que les juges du fond, en le privant de la créance de restitution d’intérêts, avait violé l’article 1er de ce protocole, la Cour de cassation avait répondu que « la déchéance du droit aux intérêts est une sanction civile, laissée à la discrétion du juge, par nature incertaine et ne pouvant donc, avant toute décision au fond, faire naître une espérance légitime, s’analysant en un bien au sens de l’article 1er du premier Protocole additionnel ».

 

La Cour de cassation conclut donc au rejet total du pourvoi formé par la banque. Il est dommage que la comparaison des législations européennes sur la question du TEG n’ait pas été effectuée plus en amont de la procédure par le demandeur au pourvoi, car cela aurait été assurément instructif.

 

Thomas LAILLER

Vivaldi-Avocats


[1]Cass., Ch. Mixte, 24 mai 1975, n° 73-13.556, P

[2]CJCE, Costa c/ ENEL, 15 juill. 1964

[3]Cass. Civ. 1ère, 30 sept. 2010, n° 09-67.930

 

 

 

 

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