Dans deux précédents articles sur des sujets connexes, nous évoquions la psychologie de l’investisseur dans la décision d’investissement, mais aussi la gestion flexible, celle où les investissements sont répartis selon les tendances prévisibles en macro-économie, répartition entre le cash, les actions et les obligations.

 

L’hypothèse de l’efficience des marchés financiers est la clé de voûte de la théorie financière classique dans un marché parfait entre acheteurs et vendeurs. Les investisseurs sont considérés comme des calculateurs rationnels, isolés et indifférents aux réactions des autres. Ainsi, le prix d’un actif observé sur le marché correspond à une valeur intrinsèque et fondamentale. Malheureusement, depuis 1925, et bien plus depuis la financiarisation des économies à partir de 1980, les chocs boursiers sont devenus plus nombreux, avec plus ou moins d’intensité, et globalement de plus en plus rapprochés par l’effet d’une globalisation toujours plus présente.

 

Avec la fameuse phrase de l’ex-président de la FED, Alan Greenspan, parlant en 1996 de « l’exubérance irrationnelle des marchés financiers », préambule de la crise IT dans les années 2000, les individus sont de plus en plus mis à contribution, et sont davantage sous l’influence de leurs émotions, affectés par des biais de raisonnement et interagissant entre eux. Face à des séismes boursiers et une volatilité élevée, ils essayent d’avoir un comportement plus sécurisant et rationnel mais en réalité emprunt de biais psycho-sociologiques.

 

Ces biais sont divers. L’économiste américain Hirsheilfer en reprend les 4 grandes catégories :

 

     les simplifications heuristiques où l’individu essaye d’avoir une vision globale de la décision à prendre mais en fait il ne peut tout savoir. Sa décision est prise rapidement, avec peu d’effort, influencée par des biais locaux : la première impression, la dernière information reçue sur un sujet similaire, une extrapolation…

     les erreurs de jugement : l’excès de confiance, d’optimisme aussi. Mais également les biais où l’on ne veut pas avoir tort nous conduisant à ne garder que les informations allant dans le sens d’une décision à prendre, de sa décision pré-établie, ceux de l’intuition ou de l’expérience positive ou négative qu’a l’individu.

     Les émotions : la dissymétrie des décisions positives et négatives, mais également l’environnement positif du moment pousse l’individu à l’optimisme et au risque, et inversement. L’on pourrait aussi penser à la décision qui conduirait à la minimisation des regrets potentiels, et celle où l’individu ira dans l’inconnu d’une décision dont il n’aurait pas appréhendé tous les tenants et aboutissants.

     Sociaux : les liens entre les acteurs financiers discutant autour de décisions où celui qui argumente aura plus d’influence que l’autre. Mais aussi le contenu des discussions des blogs sur internet, les avis de « spécialistes », les rumeurs. L’on peut ajouter les biais liés à l’orthodoxie financière et au conformisme, et par induction les biais issus de comportements mimétiques.

 

Certains gérants ont essayé de mettre en place des gestions contrariantes pour ne pas être dans le marché en même temps que les autres investisseurs et prendre des positions opposées sous forme de paris sur l’avenir, étoffés par des discours économiques a priori indiscutables (sinon la décision inverse n’aurait pas de sens). Ils sont peu nombreux pour des raisons évidentes : ils ajoutent du risque à du risque. De plus, leur méthode « contrariante » n’a pas été matériellement vérifiée. Dans une nappe de brouillard, en voiture, l’on freine. Une gestion contrariante serait « on accélère » pour passer le moins de temps dans une zone incertaine, mais si le risque est avéré, tout est fini sur la route…

 

Des acteurs de la finance et des chercheurs académiques ont-ils voulu voir dans la volatilité des marchés des traces de comportements rationnels ou non, et d’en déduire une prévisibilité potentielle. L’objectif étant naturellement d’éviter les bulles et leurs conséquences, de réaliser des rendements positifs en anticipant les marchés et leurs réactions, ce qui est tout à fait naturel et louable. Alors la finance comportementale a vu le jour : la technique financière combinée aux probabilités a été formalisée, théorisée et structurée. Mais peut-on mettre en équation les raisonnements humains irrationnels, psychologiques, comportementaux ? Peut-on prévoir le futur sur la base des comportements passés. Bien sur la puissance de calcul, l’information financière exceptionnellement dense et riche, l’ouverture de la finance au monde de la recherche ont conduit à des hypothèses intéressantes, mises en application par notamment des sociétés de gestion pour donner du concret aux investisseurs.

 

UBS (CCR AM) et JP Morgan ont par exemple proposé des fonds basés sur la finance comportementale en proposant une certaine flexibilité dans les actifs sous-jacents composant chaque opcvm. Il est naturellement très « vendeur » pour ces établissements de diffuser des discours marketing sur la capacité des gérants à adopter des positions financières acheteuses/vendeuses selon des processus psychologiques en ne laissant plus forcément les marchés rationnels (ou irrationnels) opérer.

 

Pour UBS/CCR, il s’agit en fait de l’analyse des moyennes mobiles face à des indices boursiers. Les ordres d’achat/vente sont-ils pris quantitativement (automatisés) dès que deux courbes se rejoignent se basant sur des méthodes probabilistes passées et des matrices de risque suivant des profils déterminés. Pour JP Morgan, nous avons analysé leurs fonds de finance comportementale. Il est décevant que d’une part les performances sur 3 ans face aux autres acteurs ne soient pas plus importantes, et d’autre part que la banque ait des variations de performance presque totalement calées sur un indice de référence.

 

Il n’y a pas de Saint Graal dans la finance pour des raisons évidentes : tout le monde serait millionnaire, ou à l’inverse ruiné (l’action simultanée réduit à néant la portée de cette action). La finance comportementale, et les théories des comportements psychologiques sont une branche intéressante de la recherche économique et financière mais les limites sont évidentes :

 

     la finance comportementale laissée à des machines et des algorithmes probabilistes réduit à néant le caractère « comportemental ». Celui-ci est par définition différent selon les acteurs, et fondamentalement peu modélisable, sauf sur un point : les acheteurs ne savent pas acheter au bon moment pour vendre au meilleur et inversement, que ces acheteurs soient professionnels ou des particuliers.

     la probabilité n’a jamais fait une décision d’avenir. Toutes les crises depuis 1987 ont toutes eu une origine différente (et globalement de source américaine) : oct 1987, remontée de taux en 1994, guerres du Golf, crise IT, des subprimes, immobilière… Et parfois des comportements contraires apparaissent (par exemple, le maintien de la politique monétaire aux USA ou au Japon est très favorable à la Bourse, mais destructeur pour l’endettement donc à terme pour la devise qui s’affaiblit, et donc pour les entreprises… cotées dont les prix à l’exportation deviennent trop élevés).

     la mondialisation a crée des comportements bien plus complexes que les opérations habituelles d’achat/vente sur les marchés : les options, dérivés, hedge funds, trading à haute fréquence… biaisent complètement l’analyse quantitative des fondements du marché des capitaux qui idéalement serait celui d’acheteurs et vendeurs, rationnels ou non, mais en tous les cas d’agents économiques souhaitant gagner de l’argent et d’en perdre le moins possible. Les contraintes, la complexité, la globalisation fausse une théorie linéaire du comportement basique achat/vente.

 

La volonté louable d’acteurs et de chercheurs de modéliser le risque financier pour le réduire et le limiter se confronte à des idées théoriques que la réalité dément. La globalisation économique est aussi celle de la globalisation financière avec ses interactions permanentes, complexes, souvent opaques. Trouver le Saint Graal financier dans la volonté des investisseurs et de leurs comportements, ne peut pas se situer au niveau de la finance comportementale mais bien plus dans l’analyse macro-économique et heuristique pour y voir un peu plus clair… en sachant que l’imprévisible, si minime soit-il peut avoir de grands effets. Quand en aout 2008, la BNPP annonce détenir des positions en interne sur les subprimes, toutes les bourses mondiales ont été fortement impactées, et ce fut la première fois dans l’histoire des marchés de capitaux. Qu’aurait fait la finance comportementale de CCR/UBS ? Pas grand-chose avec sa gestion s’appuyant sur une base de moyennes mobiles, ou du moins pas « immédiatement ». Qu’aurait fait un investisseur individuel avisé ? Il aurait jaugé le risque, son horizon de temps, et essayé d’y voir clair là où personne n’avait de visibilité. Il n’aurait rien fait parce que les évènements complexes et atypiques laissent sans ressource tout le monde. Il aurait aussi appelé son conseiller financier qui aurait dit « on ne vend pas quand ca baisse ; ca ira ; ca remontera ». Est-ce là de la finance comportementale ? Non. Celle qui prévaut est la parfaite adéquation avec les objectifs, les compétences financières, les anticipations possibles et un portefeuille potentiellement « vendable » rapidement s’il le fallait, c’est-à-dire peu de lignes, mais suffisamment pour assurer la diversification suffisante. Et en dehors de risques financiers extrêmes, la finance comportementale réside dans l’adaptation des objectifs aux volontés individuelles en n’hésitant pas à acheter ou vendre des positions sans biais financier du conseiller (la banque et le conseiller perçoivent des commissions sur l’argent placé, pas sur l’argent sécurisé ou trop peu).

 

Comme le note un gérant anglais de chez M&G « la finance comportementale ne cherche pas à faire abstraction du facteur humain. Au contraire, elle s’efforce de l’admettre, d’en reconnaître l’influence importante et puis de l’écarter du processus analytique de manière à prendre de bonnes décisions d’investissement. »

  

François ALMALEH

FINADOC

Directeur financier privé, Services financiers aux dirigeants, Gestion de fortune Conseiller en Investissements financiers

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