La cession d’un fonds de commerce en dépit du délai d’opposition de 10 jours : Rôle du liquidateur dans la reconstitution du gage commun des créanciers.

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

 Une cession de fonds de commerce, qui s’opère sans séquestre, ne libère pas l’acquéreur des créanciers inscrits sur le fond. Dès lors, en cas de liquidation judiciaire de la société cédante, le liquidateur peut obtenir, du cessionnaire, remboursement de la somme perçue à hauteur du passif.

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 8 mars 2023, 21-18.677, Publié au bulletin

Dans un arrêt qui reçoit les honneurs de la publication au Bulletin, les juges de la Haute Cour reviennent sur le rôle que peut avoir le liquidateur en cas de cession du fonds de commerce.

I –

L’article L622-20 du Code de commerce prévoit :

«  Le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers. Toutefois, en cas de carence du mandataire judiciaire, tout créancier nommé contrôleur peut agir dans cet intérêt dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat.

(..)  ».

S’agissant de la liquidation judiciaire, l’article L641-4 du Code de commerce prévoit :

« Le liquidateur procède aux opérations de liquidation en même temps qu’à la vérification des créances. Il peut introduire ou poursuivre les actions qui relèvent de la compétence du mandataire judiciaire 

(…) ».

Le liquidateur est donc, seul, en mesure d’agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers, afin de reconstituer leur gage commun.

II –

En l’espèce, aux prémices de cette affaire, la cession d’un fonds de commerce est organisée sans passer par la case « séquestre » au profit du cabinet d’avocats prévu, mais par le truchement d’un paiement direct du cessionnaire au cédant.

La cession est par ailleurs publiée, sans tenir compte du délai prévu par l’article L141-12 du Code de commerce[1], trois mois après du Bulletin Officiel des Annonces Civiles et Commerciales.

Un an plus tard, la société cédante est placée en liquidation judiciaire.

III –

Le Liquidateur assigne le cessionnaire en paiement d’une partie du prix de vente du fonds, équivalente au montant du passif de la société cédante. En réaction, le cessionnaire appelle en garantie le cabinet d’avocats, rédacteur d’acte.

La règle en la matière est que : en cas de paiement direct au vendeur, l’acquéreur n’est pas libéré à l’égard des tiers[2].

« L’acquéreur qui paie son vendeur sans avoir procédé aux publications prescrites, ou avant l’expiration du délai de dix jours, n’est pas libéré à l’égard des tiers » (Article L141-17 du Code de commerce)

La question était cependant de déterminer si le cessionnaire pouvait être poursuivi par le liquidateur, lequel entendait assurer la reconstitution d’un gage commun des créanciers.

C’est en ce sens que prend position la Cour d’Appel.

Le pourvoi formé par le cabinet d’avocats est rejeté.

Il sollicitait en vain reconnaissance du préjudice propre et de l’intérêt personnel d’un créancier agissant à l’encontre de la société cessionnaire.  

Cet argument n’a pas trouvé écho dans l’oreille des juges suprêmes, qui considèrent que la défense de l’intérêt collectif des créanciers entre dans le périmètre de l’action du liquidateur, ceci afin de recouvrir le prix de cession d’un fonds de commerce versé avant l’expiration du délai d’opposition de dix jours des créanciers.

« 7. Il résulte de la combinaison des articles L. 141-12, L. 141-14 et L. 141-17 du code de commerce que l’acquéreur d’un fonds de commerce, qui paie son vendeur avant l’expiration du délai de dix jours suivant la publication de la vente, ouvert aux créanciers du précédent propriétaire pour former opposition au paiement du prix, n’est pas libéré à l’égard des tiers. Les créanciers du vendeur d’un fonds de commerce étant des tiers, au sens de l’article L. 141-17 précité, qu’ils aient ou non, fait opposition au paiement du prix, le paiement fait au vendeur du fonds, avant l’expiration du délai d’opposition, leur est inopposable. »

Le liquidateur représente l’intérêt général des créanciers, lequel tient éminemment à la reconstitution du gage commun des créanciers de la procédure. Son action s’inscrit donc correctement dans le périmètre défini par l’article L141-14 du Code de commerce.

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[1] Pourtant, l’article L141-12 du Code de commerce prévoit :

« Sous réserve des dispositions relatives à l’apport en société des fonds de commerce prévues aux articles L. 141-21 et L. 141-22, toute vente ou cession de fonds de commerce, consentie même sous condition ou sous la forme d’un autre contrat, ainsi que toute attribution de fonds de commerce par partage ou licitation, est, sauf si elle intervient en application de l’article L. 642-5, dans la quinzaine de sa date, publiée à la diligence de l’acquéreur sur un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département dans lequel le fonds est exploité et sous forme d’extrait ou d’avis au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales. En ce qui concerne les fonds forains, le lieu d’exploitation est celui où le vendeur est inscrit au registre du commerce et des sociétés. »

[2] Cass. com 24 mai 2005, n° 01-15.337 : « En vertu de l’article 3, alinéa 8, de la loi du 17 mars 1909, devenu l’article L. 141-17 du Code de commerce, n’est pas opposable aux créanciers du vendeur d’un fonds de commerce, le paiement fait à ce dernier avant l’expiration du délai accordé à ces créanciers pour faire opposition par l’article 3, alinéa 4, de la loi du 17 mars 1909, devenu l’article L. 141-14 du Code de commerce »

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007051604?page=1&pageSize=10&query=*0115337&searchField=ALL&searchType=ALL&sortValue=DATE_DESC&tab_selection=juri&typePagination=DEFAULT
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