SOURCE : 3ème civ, 12 juillet 2018, n°17-20696, F – P + B + I
Contrairement au Conseil d’Etat, qui distingue la force majeure du cas fortuit, en estimant que ce dernier relève notamment de circonstances inconnues[1], la jurisprudence judiciaire n’opère pas de distinction claire entre les deux notions, indifféremment employées pour désigner un événement précis de cause imprévisible, irrésistible et extérieure. A cet égard, pour la Cour de cassation, l’incendie d’origine inconnue n’est pas un cas fortuit, exonératoire de responsabilité[2].
La présente décision est l’occasion pour la Haute juridiction judiciaire de rappeler sa différence d’approche de la notion, par rapport à celle du Conseil d’Etat.
En l’espèce, un incendie se déclare dans les locaux de l’un des colocataires d’un immeuble appartenant à un seul propriétaire, dont la responsabilité est engagée par les autres colocataires de l’immeuble en réparation des troubles de jouissance subis, selon l’article 1719 du Code civil.
La Cour d’appel de Paris déboute les colocataires de leurs prétentions, en retenant que les dispositions de l’article 1722 du Code civil,
« Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement »
exonèrent le Bailleur de toute responsabilité lorsque, comme en l’espèce, la cause du sinistre est indéterminée,
Saisie d’un pourvoi des colocataires, la Cour de cassation maintient sa jurisprudence et casse en conséquence, l’arrêt déféré :
« Qu’en statuant ainsi, alors que l’incendie qui se déclare dans les locaux d’un colocataire et dont la cause n’est pas déterminée ne caractérise pas un cas fortuit (…) »
La responsabilité du bailleur devrait ainsi être retenue par la Cour de renvoi, à charge pour le bailleur de se retourner ensuite contre son preneur, dans les locaux duquel l’incendie a pris naissance. En effet si, conformément aux dispositions de l’article 1384 al2 du Code civil, l’occupant d’un immeuble (le preneur) dans lequel un incendie a pris naissance n’engage sa responsabilité vis-à-vis des tiers que s’il est prouvé une faute de sa part ou de personnes dont il répond, sa responsabilité sans faute pourra être recherchée par le propriétaire de l’immeuble sur le fondement des articles 1733 et 1734 du Code civil.
Le preneur à bail est en effet présumé responsable sauf à démontrer « que l’incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction ou que le feu a été communiqué par une maison voisine », ce qui ne sera donc pas le cas pour le preneur dans la présente affaire.
Il incombera ainsi au preneur de réparer l’entier préjudice du bailleur constitué de l’ensemble des frais afférents à la réparation des désordres occasionné par la communication de l’incendie à d’autres locaux qu’il loue[3], et à l’indemnisation des locataires de ces locaux, en application des dispositions de l’article 1734 du Code civil[4].
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] CE, 11 décembre 1991, n°81588 ; CE, 17 mars 1976, n° 87659
[2] Cass. 3e civ., 17 juill. 1996, n° 94-14.358; Cass. 3e civ., 13 juin 2007, n° 06-10.033, n° 575 FS – P + B
[3] 3ème civ, 18 mai 1978, n°77-10238 ; 3ème civ, 27 novembre 2002, n°01-12403
[4] Sur le sujet, cf notre article chronos du 16 février 2016 « Communication d’un incendie aux locaux voisins »