L’absence de consultation du service des domaines préalablement à la conclusion par une commune d’un bail emphytéotique administratif entache-t-elle la délibération d’irrégularité ?

Stéphanie TRAN
Stéphanie TRAN

 

 

SOURCE : CE, sect., 23 oct. 2015, Sté CFA Méditerranée, req. n° 369113.

 

On sait l’importance de la Jurisprudence DANTHONY pour connaître l’office du juge administratif à l’égard du vice de procédure (CE, ass., 23 déc. 2011, n° 335033, Danthony e.a., Rec. Lebon, p. 649).

 

Les pouvoirs d’appréciation du Juge administratif sont, depuis cet arrêt, particulièrement étendus en matière de vices de procédure.

 

Il faut à cet égard rappeler le principe dégagé par l’arrêt :

 

« si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie »

 

C’est donc au terme d’une appréciation in concreto que le juge administratif décide si le vice de procédure entache d’illégalité un acte administratif.

 

Le Conseil d’état ne cesse d’étendre et d’appliquer ce principe.

 

C’est ainsi que, dans un arrêt du 23 décembre 2014, la jurisprudence DANTHONY a été appliquée à propos de la consultation du service des Domaines préalablement à une décision de préemption (CE, 23 déc. 2014, n° 364785, Communauté urbaine de Brest, mentionné dans les tables du recueil, au Lebon, AJDA 2015. 7).

 

Il importe de préciser que la consultation du service des domaines est une obligation prévue à l’article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales et qu’en tant que telle, elle était qualifiée, par le Conseil d’état, de substantielle, en ce sens que son défaut entache ipso facto d’irrégularité la décision prise (CE 22 févr. 1995, req. n° 122395, Commune de Ville-la-Grand).

 

Dans l’arrêt du 23 décembre 2014, le Conseil d’état avait rejeté le pourvoi formé contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel de NANTES du 26 octobre 2012 annulant la délibération. Il a toutefois procédé à une substitution de motifs, aux articles 5 et 6 de l’arrêt, abandonnant la référence à la formalité substantielle pour considérer que l’absence de communication du service des domaines a privé les intéressés d’une garantie :

 

« 5. Considérant, en troisième lieu, que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s’il a privé les intéressés d’une garantie ;

 

6. Considérant que la consultation du service des Domaines préalablement à l’exercice du droit de préemption par le titulaire de ce droit constitue une garantie tant pour ce dernier que pour l’auteur de la déclaration d’intention d’aliéner »

 

Dans l’ arrêt rendu le 23 octobre dernier, le Conseil d’état a à nouveau fait application du principe mis en lumière par la jurisprudence DANTHONY dans cette même hypothèse de consultation du service des domaines (CE, sect., 23 oct. 2015, Sté CFA Méditerranée, req. n° 369113), mais pour parvenir à une décision différente.

 

En l’espèce, l’Association de sauvegarde des terres, du patrimoine et des paysages avait saisi le juge administratif aux fins d’annulation de la délibération par laquelle le conseil municipal de Cabriès a approuvé le bail emphytéotique administratif et la convention de mise à disposition conclus avec la société Genecomi pour la construction d’un groupe scolaire.

 

Selon l’association requérante, la délibération était irrégulière à raison d’un vice de procédure, consistant à ce que le conseil municipal n’avait pas été informé de la teneur de l’avis du service des domaines sur la valeur vénale des parcelles objet du bail avant de prendre cette délibération.

 

Par un arrêt du 6 mai 2013, la cour administrative d’appel de Marseille avait fait droit à la demande de l’association et annulé la délibération.

 

Le Conseil d’État prononce la cassation de la décision déférée, estimant que la cour de Marseille aurait du « rechercher si l’irrégularité de la consultation de ce service avait eu une incidence sur le sens de la délibération attaquée ».

 

Si le Conseil d’Etat n’énonce pas que la consultation n’est pas une garantie au sens de la jurisprudence DANTHONY, il fait choix de ne pas procéder à une substitution de motifs et décide de renvoyer l’affaire devant la cour administrative d’appel de Marseille.

 

Il s’agit donc, en quelque sorte, d’une cassation purement disciplinaire.

 

Mais cela pose la question de savoir ce qui avait conduit le Conseil d’état, dans le premier arrêt, à substituer à la motivation tirée de nature substantielle de la formalité celle consistant à reconnaître que cette formalité est une garantie, conformément au nouveau critère posé par la Jurisprudence DANTHONY.

 

La réponse n’est pas aisée, de la même façon qu’il n’est pas aisé, mutatis mutandis, de comprendre et systématiser pour quelle raison la Haute Cour prononce une cassation sans renvoi.

 

On peut en l’espèce proposer trois explications.

 

En premier lieu, si dans les deux cas la décision de la Cour administrative d’appel était postérieure à l’arrêt DANTHONY (26 octobre 2012 pour la 1ère, et 6 mai 2013 pour la seconde), on peut avancer que l’écoulement du temps (7 mois et demi en plus) aurait du conduire les conseillers de la Cour administrative, dans le second cas, à appliquer les critères de la jurisprudence DANTHONY, là où, dans le premier arrêt, les conseillers de la Cour administrative d’appel auraient bénéficié d’une forme de compréhension, leur décision n’étant pas cassée du fait que l’on admette, implicitement, à raison de la substitution de motifs opérée, qu’une période d’adaptation doit exister après un changement de jurisprudence.

 

En second lieu, on peut observer que le choix de casser l’arrêt avec renvoi plutôt que de rejeter le pourvoi avec substitution de motifs est conforme avec la fonction de Cour régulatrice du Conseil d’état qui n’est, en principe, pas un degré de juridiction.

 

Enfin, le choix de la cassation peut se comprendre comme traduisant la volonté des juges du Palais Royal d’inciter les juges du fond à appliquer le nouveau critère, lesquels seront évidemment plus prompts à le mettre en œuvre qu’ils s’exposent, ne le faisant pas, à la cassation.

 

Stéphanie TRAN

Vivaldi-Avocats

 

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