IS : Précisions sur l’acte anormal de gestion

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

SOURCE : CE 3-8-9-10 Chambres réunies 21/12/2018, n° 402006, Société CROË SUISSE (publié au Recueil)

 

I – 

 

L’espèce qui était examinée par les 4 Chambres réunies du Conseil d’Etat concernait un contentieux qui opposait l’Administration à une société résidente fiscale suisse ayant vendu la totalité des titres de la société CROË FRANCE à une personne physique résidente fiscale russe.

 

Cette vente occasionnait une plus-value soumise à l’impôt sur les sociétés, déduction faite des prélèvements déjà acquittés sur le fondement des articles 244 bis A du CGI relatifs à l’imposition des non-résidents.

 

Cependant, l’Administration fiscale a remis en cause la valeur des actions cédées et réintégré dans le résultat imposable de la société suisse, la différence qui résultait de sa propre valeur (46 410 669 €) et le prix de cession des actions… qui s’élevait à 6 M€.

 

La question qui se posait au Conseil d’Etat était la suivante : est-ce qu’un écart de prix constitue un acte anormal de gestion ?

 

II –

 

L’acte anormal de gestion est une création prétorienne du Conseil d’Etat assise sur les articles 38 et 209 du CGI synthétisés par l’attendu de principe suivant :

 

« Le bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faite par l’entreprise, à l’exception de celles qui en raison de leur objet ou de leur modalité, sont étrangères à la gestion normale. »

 

Il résulte en pratique que la qualification d’acte anormal de gestion permet de corriger a posteriori le résultat apparemment minoré d’une entreprise du fait de la comptabilisation d’une charge excessive ou d’un produit insuffisant afin de réintégrer dans le produit imposable, les sommes litigieuses.

 

III –

 

Il a fallu la réunion de 4 Chambres du Conseil d’Etat pour ajouter à ce principe une précision supplémentaire :

 

« Constitue un acte anormal de gestion l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. »

 

Ramené au cas examiné par la juridiction, la cession par une société de ses actifs à un prix « significativement inférieur à sa valeur vénale, constitue une présomption simple d’anormalité. »

 

Et pour renverser cette présomption, le contribuable doit fournir des éléments susceptibles de remettre en cause l’évaluation produite par l’Administration fiscale.

 

C’est ici le deuxième enseignement de cette décision qui… casse l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel en ce qu’elle avait fait droit à la demande de l’Administration, au motif que la juridiction du second degré n’avait pas suffisamment tenu en compte l’illiquidité de l’actif et corrélativement la difficulté pour le cédant à trouver un acheteur. La cassation est prononcée sur l’erreur de droit, conformément d’ailleurs aux conclusions du Rapporteur[1].

 

Est-ce à dire que devant la Cour Administrative d’Appel de renvoi, l’Administration va échouer dans sa tentative de rectification ? Rien n’est moins sûr, même si elle ne parviendra pas à imposer sa propre valorisation (7500 % d’écart) il restera encore une place pour l’acte anormal de gestion.

 

En définitive, la « potion magique » pour le contribuable, est la documentation de son approche préalable à la cession.

 

Compiler la documentation susceptible de permettre d’apprécier le marché, se faire, compte tenu de l’importance de l’opération, assister d’un ou plusieurs techniciens experts agréés devant les Cours Administratives d’Appel ou devant le Conseil d’Etat, qui établiront un rapport de partie expliquant la difficulté à céder et les décotes à opérer, se faire remettre des études, confier un mandat de cession à un ou plusieurs intermédiaires spécialisés  ou banques d’affaires, bref démontrer que tout a été mis en œuvre pour céder à la valeur théorique du marché qui sera nécessairement reprise par l’Administration, est peut-être le meilleur moyen de (i) éviter autant que faire se peut, le contentieux avec l’Administration, et (ii) en tout cas, retourner au moins partiellement la présomption dans un contexte où l’Administration ne sanctionne que les écarts qu’elle estime significatifs, c’est-à-dire caractérisant une différence de valeur d’au moins 20 %[2].

 

[1] Cf. conclusions Rapport Public BRETONNEAU A « Acte anormal de gestion, cession d’actifs immobilisés à un prix minoré et taxation du cédant entre innovation, confirmation et interrogation, droit fiscal 2009 », com 176, § 3

 

[2] Voir BOI-IS-Champ-60-10-10

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