Interdiction de revente à perte : du champ d’application français à la conformité européenne

 

Source : Cass. Com., 22 novembre 2017, n° 16-18028 et n° 16-18124

 

I – Rappel sur l’interdiction de revente à perte

 

En principe, l’article L. 442-2 du Code de commerce interdit à tout commerçant de revendre ou d’annoncer la revente d’un produit en l’état (produit non transformé) à un prix inférieur à son prix d’achat effectif. De manière plus synthétique :

 

 

 

Prix de revente < Prix d’achat effectif *

* Prix d’achat effectif

=

Prix net du produit figurant sur la facture d’achat

+

Taxes (sur le chiffre d’affaires et celles spécifiques à la revente)

+

Prix du transport

 

Avantages financiers consentis par le vendeur (ristournes, réductions de prix)

 

La violation de ses dispositions est punie de 75 000 euros d’amende. Cette amende peut être portée à la moitié des dépenses de publicité dans le cas d’une annonce publicitaire quel qu’en soit le support.

 

Cependant, des exceptions à l’interdiction de revente à perte sont prévues à l’article L. 442-4 du Code de commerce. Echappent alors à l’interdiction de revente à perte notamment les ventes en liquidation, de produits démodés ou dépassés, de produits périssables menacés d’altération rapide, en soldes ou encore le réapprovisionnement en cas de baisse des cours.

 

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation a été interrogée sur le champ d’application des dispositions de l’article L. 442-2 du Code de commerce : B to B et/ou B to C ?

 

En revanche, si la question du champ d’application méritait d’être posée, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ne s’y est pas limitée.

 

II – Application de l’article L. 442.-2 du Code de commerce en B to B

 

A la base, deux centrales d’achat (regroupant chacune des opticiens indépendants) acquièrent des produits auprès du même fournisseur pour les revendre à leurs adhérents respectifs.

 

S’estimant victime d’actes de concurrence déloyale résultant de pratiques de revente à perte, la première assigne la seconde en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l’article L. 442-2 du Code de commerce.

 

Condamnée par les juges du second degré, la centrale d’achat poursuivie forme un pourvoi en soulevant l’argument suivant : les dispositions de l’article L. 442-2 du Code de commerce seraient contraires à la directive sur les pratiques commerciales déloyales[1].

 

Pour simple réponse, la Cour de cassation relève que cette directive est applicable aux relations entre un professionnel et un consommateur conformément à son article 3.

 

Or, le litige de l’espèce concernant une relation B to B, la Cour de cassation estime que celui-ci n’entre pas dans le champ d’application de la directive. Par conséquent, « le moyen invoquant l’incompatibilité de la législation française [article L. 442-2 du Code de commerce] avec une directive inapplicable en l’espèce, est inopérant ».

 

Toutefois, il convient d’être vigilent sur cette position française en rapprochant l’arrêt commenté avec celui de la CJUE rendu le 19 octobre 2017 dans une affaire très similaire[2].

 

III – Conformité de l’article L. 442-2 du Code de commerce au droit de l’Union ?

 

Adoptant une approche plus fine, la Haute juridiction européenne s’est d’abord interrogée sur l’objectif premier des dispositions (en l’espèce espagnoles) interdisant la revente à perte. A cette question, la CJUE a répondu que leur finalité était la protection des consommateurs.

 

Par conséquent, la directive sur les pratiques commerciales déloyales trouvait alors à s’appliquer (cf. article 3 de la directive).

 

Or, selon les juges européens, cette directive s’oppose à toute interdiction générale (i.e. interdiction « en toutes circonstances ») en dehors des 31 pratiques listées dans son annexe I, même si la pratique en question poursuit des finalités visant à la protection des consommateurs[3]. Cela signifie que les Etats membres ne peuvent pas adopter de mesures plus restrictives que celles définies par la directive, y compris pour assurer une plus grande protection des consommateurs.

 

Il faut ainsi comprendre que si la pratique concernée ne figure pas dans la liste des 31 pratiques, elle ne peut pas être interdite d’office, mais seulement, le cas échéant, après un examen spécifique permettant d’évaluer son caractère déloyal.

 

En l’espèce, la revente à perte n’appartenant pas à cette liste des 31 pratiques, un Etat membre (ici l’Espagne) ne peut pas en faire une interdiction générale (« en toutes circonstances »), sauf à présenter une législation contraire au droit européen[4]. Ainsi, la CJUE a jugé que la législation espagnole interdisant en toutes circonstances la revente à perte constituait une interdiction générale exclue de la liste de la directive sur les pratiques commerciales déloyales, et que in fine la loi espagnole était contraire au droit de l’Union européenne.

 

Au regard de cette dernière décision et par analogie, l’article L. 442-2 du Code de commerce français interdisant la pratique de la revente à perte pourrait être jugée non conforme au droit européen. En effet, dans l’hypothèse où il serait démontré que la finalité de l’article précité vise en premier la protection du consommateur et non celle du « petit commerce de détail », et de manière plus générale, celle de la concurrence, l’interdiction de revente à perte pourrait (aussi) être neutralisée du droit français…

 

Victoria GODEFROOD-BERRA

Vivaldi-Avocats


[1] Directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du conseil et le règlement (CE) n° 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil.

[2] CJUE, 19 octobre 2017, Aff. C295/16, Europamur Alimentación SA c/Dirección General de Comercio y Protección del Consumidor de la Comunidad Autónoma de la Región de Murcia.

[3] CJUE, 14 janvier 2010, Aff. C-304/08, Plus Warenhandelsgesellschatf.

[4] CJUE, 7 mars 2013, Aff. C-343/12, Euronics Belgium.

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