Source : CA Versailles, 1re ch., 2e sect., 10 oct. 2017, n° 16/03428 : JurisData n° 2017-020558
Par contrat du 23 décembre 1996, un bailleur a donné en location à M. Larbi Z., un appartement à usage d’habitation.
A la suite d’une déclaration de plombémie élevée chez un enfant de la famille par un pédiatre de la PMI, la DDASS des Hauts- de-Seine a engagé une enquête environnementale afin de rechercher la ou les sources d’intoxication au plomb dans l’environnement de la famille.
Le rapport d’enquête daté du 10 avril 2007 a conclu à l’existence de plusieurs sources potentielles d’intoxication, à savoir :
– les peintures riches en plomb et dégradées des volets du logement,
– l’utilisation régulière de plats à tajine riches en plomb,
– la mère par voie foetale éventuellement imprégnée par les plats à tajine et le khôl qu’elle utilise comme maquillage.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 juillet 2007, la DDASS a mis en demeure le bailleur d’indiquer, sous dix jours, son intention ou non de réaliser les travaux préconisés. La bailleur a fait réaliser les travaux en août 2008.
Début 2011, une présence de plomb a de nouveau été détectée dans le logement ; les consorts Z. ont alors été relogés de manière provisoire puis de manière définitive.
C’est dans ce contexte que, par acte d’huissier des 14 et 18 mars 2013, les preneurs ont assigné leur bailleur devant le juge des référés du tribunal d’instance afin d’obtenir la désignation de deux experts, l’un immobilier et l’autre médical.
Les rapports déposés, les demandeurs ont sollicité la condamnation du bailleur au paiement de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral et du préjudice physique direct et indirect découlant de l’état de santé de leur enfant.
Le tribunal d’instance les a débouté de toutes leurs demandes estimant que le lien de causalité entre l’origine de l’intoxication imputable au bailleur et leur exposition au plomb n’était pas établi. Les demandeurs ont interjeté appel du jugement.
En appel, ils font valoir que l’ensemble de la famille a subi pendant sept années une exposition au plomb dangereuse jusqu’à leur départ à la fin février 2011. Ils relèvent que le docteur S. a retenu, dans son rapport, une intoxication au plomb à partir de fin 2004 sur l’ensemble des enfants de la famille et de la mère. Ils affirment que la cause du saturnisme est immobilière critiquant le rapport de M. G. au motif qu’il a outrepassé sa mission d’expertise en se prononçant sur la question des répercussions de la présence de plomb dans le logement sur la santé de la famille. Ils concluent au caractère indécent du logement compte tenu de la présence de plomb dans l’ensemble des pièces. Ils invoquent également une violation par le bailleur de l’obligation de leur assurer la jouissance paisible d’un logement exempt de vices cachés. Ils estiment que l’intoxication au plomb de l’ensemble de la famille mérite une indemnisation.
En réponse, le bailleur fait valoir que l’exposition au plomb ne lui est pas imputable estimant que sa responsabilité ne peut être retenue compte tenu de l’absence d’origine immobilière d’intoxication au plomb de la famille. Il fait à cet égard valoir que l’expert a conclu que les travaux effectués en 2007/2008 ont été suffisants pour enlever le plomb et soutient qu’à l’analyse des conclusions expertales la cause la plus probable d’intoxication serait l’utilisation par cette dernière de poudre de khôl traditionnel. Le bailleur ajoute qu’en tout état de cause le logement a été considéré comme décent par l’expert. La bailleur en conclut que le lien d’imputabilité entre la plombémie et la présence de plomb dans le logement n’est pas démontré soulignant le comportement fautif de la famille dans la mesure où les dégradations de la peinture et du revêtement résulte de chocs provenant des occupants.
Sur ce , la Cour rappelle en préambule que selon l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989, le bailleur est obligé d’assurer au locataire la jouissance paisible du logement et de le garantir des vices ou défauts de nature à y faire obstacle. Et le même article 6, tel qu’issu de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), précise que le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation et d’entretenir les locaux en état de servir à l’usage prévu par le contrat et d’y faire toutes les réparations, autres que locatives, nécessaires au maintien en état et à l’entretien normal des locaux loués.
La Cour ajoute que l’art. 20-1 toujours issu de la loi du 13 décembre 2000, applicable aux contrats en cours, prévoit que si le logement loué ne satisfait pas aux dispositions des premier et deuxième alinéas de l’article 6, le locataire peut demander au propriétaire leur mise en conformité sans qu’il soit porté atteinte à la validité du contrat en cours.
Aussi, reprenant les conclusions de l’expert suivant lesquelles : « en résumé, la peinture, par sa dégradation, notamment à cause de l’humidité et de l’ancienneté de la peinture, a libéré le plomb sous forme d’écailles puis de poussières et a présenté un risque de saturnisme’, la Cour constate qu’il apparaît que le logement donné à bail présentait des défauts faisant obstacle à la jouissance paisible du logement c’est-à-dire des risques pouvant porter atteinte à la santé de ses occupants » et retenant que le bailleur ne pouvait ignorer la toxicité des peintures au plomb vieillissantes, la Cour retient sa responsabilité tout en constatant que celui-ci a effectué « très rapidement » les travaux utiles puis, au vu de la réitération de la difficulté, procéder là encore « très rapidement » au relogement de la famille. Il est condamné au paiement d’une somme de 5 000 € en réparation du préjudice moral de la famille, la Cour relevant que l’intoxication au plomb a eu des effets néfastes sur la santé et que la famille a dû régulièrement subir des contrôles de leur plombémie et des examens médicaux divers, générateurs d’inquiétude.
Delphine VISSOL
Vivaldi-Avocats