Révocation du gérant de SARL : une année de rémunération c’est exorbitant !

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

 

SOURCE : Cass.com., 06 novembre 2012 n° 1093, F-P+B (n° 11-20582)

 

Dans cette espèce, le gérant non associé d’une SARL, ayant pour objet la création et l’exploitation de parcs d’éoliennes, s’est vu reprocher par les deux associés de la société d’avoir omis, dans le cadre de la création d’un parc de 6 éoliennes, de demander au moment du dépôt du permis de construire un certificat d’obligation d’achat de l’énergie produite, document nécessaire à l’exploitation du parc et à son équilibre financier.

 

Or, s’il avait bien déposé une demande de permis de construire le 07 novembre 2006, il ne fera la demande de certificat d’obligation d’achat que le 15 octobre 2007, alors que la société avait un acquéreur potentiel pour le parc depuis le 10 octobre 2007.

 

Toutefois, cette demande fut rejetée en date du 17 octobre 2007 en raison de sa tardiveté, celle-ci ayant été faite postérieurement au délai légal pour la présenter.

 

Par suite, le projet de cession du parc d’éoliennes était purement et simplement abandonné par l’acquéreur potentiel, ce dont il résultait une perte sèche pour la société, ledit parc étant estimé à 22 millions d’euros.

 

C’est ainsi que, le 15 novembre 2007, les associés de la société reprochant au gérant son incompétence et la perte de ce marché, le convoquaient sur le champ à une Assemblée Générale ayant pour objet sa révocation, qui était prononcée immédiatement.

 

Le gérant révoqué, à la suite de cette décision, demanda à la société que lui soit versée l’indemnité de révocation contractuellement prévue, outre diverses autres sommes, ce qui lui fut refusé par la société, de sorte que le gérant révoqué assigna la société devant le Tribunal de Commerce d’AMIENS aux fins de paiement de diverses sommes dont l’indemnité contractuelle de révocation et une indemnité de dommages et intérêts pour révocation brutale et abusive.

 

Les premiers Juges, par Jugement en date du 06 mars 2009, ayant fait droit à l’essentiel des demandes du gérant révoqué, la société interjeta appel de la décision. C’est ainsi que la cour d’Appel d’AMIENS, dans un Arrêt du 08 mars 2011 infirmera le Jugement dans ses différentes dispositions, de sorte que le gérant révoqué se pourvut en Cassation.

 

A l’appui de son pourvoi, le gérant révoqué fait grief à la Cour d’Appel d’avoir rejeté sa demande en paiement de l’indemnité contractuelle de révocation sur le fondement de l’article L. 223-25 du Code de Commerce, lequel prévoit la nullité de toute clause contraire à la révocabilité du gérant, nonobstant la convention de gérance majoritaire signée entre le gérant et les associés, laquelle prévoyant en son article 9 qu’en cas de révocation pour quelque motif que ce soit, le gérant percevrait une indemnité de révocation à hauteur de sa dernière rémunération annuelle, de sorte, prétendait-il, que la Cour d’Appel a ainsi violé les dispositions de l’article 1134 du Code Civil, lequel dispose “Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi”.

 

Par ailleurs, le gérant révoqué fait encore grief à la Cour d’Appel d’avoir rejeté sa demande en paiement de dommages et intérêts alors que le gérant révoqué doit voir ses droits de la défense dûment respectés et que la Cour d’Appel ne pouvait pas considérer qu’il en était ainsi alors qu’il avait été informé du projet de sa révocation, juste avant la réunion de l’Assemblée convoquée d’urgence le matin pour l’après-midi même et qu’en outre la Cour d’Appel ne pouvait considérer que la révocation du gérant était intervenue pour un juste motif, sans expliquer en quoi le fait que le gérant est omis de demander le certificat d’obligation d’achat constituait une faute de gestion contraire à l’intérêt social.

 

Enfin, le gérant révoqué fait encore grief, à la Cour d’Appel de soutenir que la révocation n’avait pas été prononcée dans des conditions brutales ou vexatoires, ceci sans avoir répondu aux conclusions par lesquelles il avait soutenu qu’il lui avait été demandé de restituer immédiatement les clés des locaux de la société, de la quitter sans délai et de se voir interdire d’y accéder sans autorisation expresse de la gérance.

 

Sur chacun des moyens soulevés ci-dessus, la Cour de Cassation, dans l’Arrêt précité du 06 novembre 2012, se détermine de la façon suivante :

 

– Sur le rejet par la Cour d’Appel de la demande en paiement de l’indemnité contractuelle de révocation, la Haute Cour décide que la Cour d’Appel a légalement justifié sa décision en considérant que la somme de 66 000 €, montant de l’indemnité contractuelle de révocation, ne pouvait être considérée comme dérisoire au regard du chiffre d’affaires de la société dès lors que cette somme, stipulée nette de charges sociales, représentait un an de salaires de dirigeant, soit un montant exorbitant au regard des résultats d’exploitation courants, constamment déficitaires.

 

Par suite, ladite indemnité réclamée par le cogérant révoqué portait atteinte à la libre révocabilité du gérant, de sorte que la stipulation y afférente devait être considérée comme étant nulle.

 

De fait, la Cour de Cassation rejette le pourvoi sur ce moyen.

 

– Sur le rejet par la Cour d’Appel de la demande en paiement de dommages et intérêts, la Haute Cour relève, tout comme la Cour d’Appel, que le gérant révoqué avait eu connaissance des faits qui lui étaient reprochés et avait bénéficié d’un délai effectif suffisant pour assurer sa défense.

 

En outre, sur la faute de gestion contraire à l’intérêt social commise par le cogérant, la Cour de Cassation estime que la Cour d’Appel a caractérisé l’existence d’un juste motif de révocation en ce qu’elle avait relevé que le gérant révoqué, spécialiste patent de l’éolienne, savait qu’à la suite d’un changement de législation intervenue en 2005 et aux dispositions transitoires mises en place, valables jusqu’au 14 juillet 2007, il était nécessaire que le dépôt de la demande soit fait au plus tard en mars 2007. Or, il n’avait procédé à ce dépôt que le 15 octobre 2007, soit postérieurement à la date de forclusion des demandes.

 

L’existence d’un juste motif était ainsi parfaitement caractérisée et la Cour de Cassation rejette le pourvoi sur ce motif.

 

– Toutefois, la Cour de Cassation vient relever que l’Arrêt de la Cour d’Appel retient que la révocation du gérant n’a pas été prononcée dans des conditions brutales et vexatoires, ceci sans répondre aux conclusions de l’intéressé, lequel y exposait les circonstances de faits dans lesquelles elle était intervenue, de sorte qu’au visa de l’article 455 du Code de Procédure Civile, la Cour de Cassation indique que la Cour d’Appel n’a pas satisfait aux exigences de ce texte.

 

Par suite, elle casse et annule l’Arrêt de la Cour d’Appel, mais seulement en ce qu’il a rejeté la demande du gérant révoqué tendant à l’allocation de dommages et intérêts en raison du caractère brutal et vexatoire de sa révocation.

 

A noter, dans cette espèce, que la faute caractérisée du gérant révoqué avait entrainé sa condamnation, par la Cour d’appel, au dédommagement de la société à hauteur de 1.000.000 €…. gérant pas sérieux s’abstenir ……

 

Christine MARTIN

Associée

Vivaldi-Avocats

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