Imputation en France des déficits fiscaux de filiales étrangères qui ne sont plus reportables localement

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

 

Source : CAA Versailles, CH 3, 26 février 2013, N° 10VE04169

 

 

I /La décision

 

Elle est suffisamment claire dans ses attendus principaux pour pouvoir être citée :

 

« Considérant qu’aux termes de l’article 43 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : “ Dans le cadre des dispositions visées ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre. La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 48, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux “ ; qu’aux termes de l’article 48 du même traité, devenu l’article 54 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : “ Les sociétés constituées en conformité de la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de la Communauté sont assimilées, pour l’application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des États membres “ ;

 

8. Considérant que, pour demander la restitution des impositions en litige, la SOCIETE AGAPES soutient que le refus de prise en compte des pertes définitivement subies par les sociétés Agapes Polska et Flunch Italie constitue une restriction disproportionnée à la liberté d’établissement et, par suite, contraire aux articles 43 et 48 précités du traité instituant la Communauté européenne ;

 

9. Considérant, toutefois, que les articles 43 et 48 du traité instituant la Communauté européenne, tels qu’ils ont été interprétés par la Cour de justice de l’Union européenne, ne s’opposent pas, en l’état actuel du droit communautaire, à la législation d’un Etat membre qui exclut de manière générale la possibilité pour une société mère résidente de déduire de son bénéfice imposable des pertes subies dans un autre Etat membre par une filiale établie sur le territoire de celui-ci et dont les bénéfices ne sont ainsi pas soumis à la loi fiscale de l’Etat de la société mère, alors qu’elle accorde une telle possibilité pour des pertes subies par une filiale résidente, y compris dans le cas où la filiale non résidente a épuisé les possibilités de prise en compte des pertes qui existent dans son Etat de résidence ; qu’en effet, la restriction ainsi apportée à la liberté d’établissement est justifiée par la nécessité de préserver la répartition du pouvoir d’imposition entre les Etats membres et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif dès lors qu’il n’incombe pas à l’Etat de résidence de la société mère d’assurer la neutralisation de la charge fiscale que la société filiale supporte ou supportera du fait de la décision de l’Etat membre où elle réside d’exercer sa compétence fiscale en limitant le droit d’imputer les pertes subies ; qu’il ne pourrait en aller différemment que lorsque l’impossibilité d’imputer les pertes ne résulte pas de l’application de la législation fiscale de l’Etat membre de résidence de la filiale et, notamment, en cas de liquidation de la filiale ;

 

10. Considérant qu’en l’espèce, il résulte de l’instruction que les déficits de la société polonaise Agapes Polska ne pouvaient plus être imputés sur ses résultats en application de la législation polonaise qui exclut le report en arrière des déficits et n’autorise le report en avant que sur les cinq exercices qui suivent celui de leur réalisation, dans la limite de 50 % de leur montant ; que, de même, les déficits de la société italienne Flunch Italie, constatés en 2000 et 2002, ne pouvaient plus être imputés sur ses résultats en application de la législation italienne qui limite le report en avant aux cinq exercices qui suivent celui de leur réalisation ; que, dans ces conditions, et alors qu’il est constant que les sociétés Flunch Italie et Agapes Polska poursuivaient, au cours des exercices en litige, leur activité et restaient soumises à l’impôt sur les bénéfices dans leur pays d’établissement, l’administration fiscale a pu, sans méconnaître les stipulations des articles 43 et 48 précités du traité instituant la Communauté européenne, refuser l’imputation des pertes en cause sur le résultat d’ensemble du groupe fiscalement intégré dont la SOCIETE AGAPES est la mère ; »

 

II-Sa portée

 

Agape avait relevé appel d’une décision du Tribunal administratif de Montreuil[1] avait rejeté ses prétentions au motif  que la législation française, en ce qu’elle assure la répartition équilibrée des pouvoirs d’imposition entre l’Etat de résidence de la société mère et les Etats de résidence des filiales, était compatible avec le droit de l’Union. Elle s’appuyait implicitement sur la jurisprudence X Holding de la CJUE. Elle écartait, dès lors, la jurisprudence Marks & Spencer, dont les principes viennent d’être confirmés dans le récent arrêt A Oy[2].

 

En appel, la Cour de Versailles reprend l’analyse développée par la CJUE dans le contentieux Marks & Spencer[3]. Elle estime ainsi que  la liberté d’établissement «ne s’oppose pas, en l’état actuel du droit communautaire, à la législation d’un Etat membre qui exclut de manière générale la possibilité pour une société mère résidente de déduire de son bénéfice imposable des pertes subies dans un autre Etat membre par une filiale établie sur le territoire de celui-ci et dont les bénéfices ne sont ainsi pas soumis à la loi fiscale de l’Etat de la société mère, alors qu’elle accorde une telle possibilité pour des pertes subies par une filiale résidente, y compris dans le cas où la filiale non résidente a épuisé les possibilités de prise en compte des pertes qui existent dans son Etat de résidence».

 

La Cour considère que la restriction introduite par la législation française est donc justifiée et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé.

 

Toutefois, la Cour semble indiquer que la solution eût été différente si les pertes avaient été définitives, non pas du fait d’une législation sur la période de report en avant, mais consécutivement à une cessation d’activité économique.

 

Cette reconnaissance de la jurisprudence Marks & Spencer, même si elle est partielle, est la bienvenue. Elle pourrait permettre, dans certaines circonstances, de pallier la récente interdiction de déduction des abandons de créance à caractère financier.

 

Que faire d’une telle décision ? s’en émouvoir d’abord puisqu’en dehors de la fermeture définitive de la filiale ou de la succursale la possibilité d’imputer ses déficits étrangers sur son résultat français reste mince et attendre ensuite que le Conseil d’Etat qui ne manquera pas d’être saisi nous éclaire par sa jurisprudence. Toutes  les hypothèses à ce stade des débats restent envisageables.

  

Eric DELFLY

Vivaldi-Avocats


[1]TA de Montreuil, 1re ch., 14 octobre 2010, n°0809608 et n°0902754, Sté Agapes

[2]CJUE, aff. 123/11 du 21 février 2013

[3]CJUE, aff. 446/03 du 13 décembre 2005.

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