Dommages-ouvrage : nécessité de caractériser le caractère décennal des désordres

Amandine Roglin

L’assureur dommages-ouvrage (DO) ne peut être condamné à indemniser le maître d’ouvrage ou les copropriétaires que si le caractère décennal des désordres est établi et que les conditions préalables à la mise en œuvre de la garantie sont respectées.

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 13 novembre 2025, 23-23.631, Inédit

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En 2005, une SCI fait édifier un ensemble immobilier qu’elle commercialise dans le cadre de ventes en l’état futur d’achèvement. La livraison des parties privatives intervient à l’été 2006, avec six mois de retard, tandis que certaines parties communes, notamment les accès piétonniers et le parking, ne sont pas achevées.

Les acquéreurs, constitués en syndicat de copropriétaires, obtiennent la désignation d’un expert judiciaire en référé afin d’examiner les désordres affectant l’immeuble. À l’issue de son rapport, le syndicat assigne la SCI, les constructeurs et l’assureur DO au titre de différents désordres affectant les lots privatifs et les parties communes, notamment les sols souples, carrelages, peintures, planchers et VRD.

Les juges du fond prononcent une réception judiciaire des ouvrages, assortie des réserves correspondant aux désordres apparents listés dans la note de synthèse de l’expert. Ils condamnent l’assureur DO à verser 264 257,61 € TTC pour la réfection des enduits de façades et des sols.

L’assureur DO forme un pourvoi, soutenant que les désordres invoqués ne sont pas de nature décennale. La Cour de cassation censure l’arrêt : la cour d’appel avait considéré que, du fait de la nature des désordres, l’assureur DO devait les garantir, sans examiner ni répondre aux conclusions de l’assureur contestant le caractère décennal des fissures et des défauts de façade, ni à celles portant sur la mise en demeure préalable de l’entreprise. La décision est donc privée de base légale au regard des articles 1792 du code civil et L. 242-1 du code des assurances.

Cette décision rappelle des principes constants de la jurisprudence sur l’assurance DO et la garantie décennale :

  1. Caractère décennal des dommages : L’assureur DO ne peut être tenu responsable que pour les dommages relevant de la garantie décennale, c’est-à-dire ceux affectant la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination (Cass. 1re civ., 3 févr. 1993, n° 90-13.263). Les désordres superficiels ou purement esthétiques ne justifient pas la mobilisation de l’assurance DO.
  2. Mise en demeure préalable : Conformément à l’article L. 242-1 du code des assurances et à la jurisprudence constante (Cass. 3e civ., 1er déc. 2009, n° 08-14.620 ; Cass. 3e civ., 4 juin 1991, n° 89-16.060), l’assureur DO ne peut intervenir pour les dommages réservés à réception qu’après mise en demeure de l’entreprise responsable, restée infructueuse, ou à défaut, après épuisement des voies de recours contre cette dernière.
  3. Obligation pour les juges de répondre aux moyens soulevés : La Cour de cassation sanctionne systématiquement le défaut de réponse aux moyens de l’assureur contestataire, que ce soit sur le caractère décennal des désordres ou sur les conditions préalables de mise en œuvre de la garantie. Le juge doit apprécier souverainement la qualification des dommages et leur inclusion dans le champ de la garantie DO.

Ainsi, la décision illustre la rigueur de la Haute juridiction dans le contrôle de l’indemnisation DO : aucune condamnation ne peut être prononcée sans examen préalable et motivation sur le caractère décennal des désordres et le respect des conditions contractuelles et légales de mise en œuvre de la garantie, incluant notamment la mise en demeure de l’entreprise et l’épuisement de la garantie de parfait achèvement.

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