Divorce de l’entrepreneur individuel et fin de l’insaisissabilité de la résidence principale : Attention danger !

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

SOURCE : Cour de cassation, Chambre commerciale,  18 mai 2022, N°20-22.768

I – Dans cette affaires, deux thèmes s’entrecroisent, le droit de la famille, et le droit des affaires, pour permettre aux juges de déterminer le sort de la résidence principale de l’entrepreneur individuel en cas de divorce.

D’une première part, et conformément à l’article 255 du Code civil, et notamment ses alinéas 3 et 4, en cas de divorce, le juge aux affaires familiales peut :

« 3° Statuer sur les modalités de la résidence séparée des époux ;

4° Attribuer à l’un d’eux la jouissance du logement et du mobilier du ménage ou partager entre eux cette jouissance, en précisant son caractère gratuit ou non et, le cas échéant, en constatant l’accord des époux sur le montant d’une indemnité d’occupation ; ».

D’une seconde part, même si le statut de l’entrepreneur individuel a subi de récentes et importantes évolutions, permettant dorénavant de séparer d’office ses patrimoines professionnels et personnels (Cf.  disponible ici ), sauf à ce qu’il y renonce expressément, le législateur avait d’ores et déjà prévu, depuis 2015[1], une protection minimale du domicile de ce dernier.

En effet, grâce aux dispositions prévues par les articles 526-1 et suivants du Code de commerce, la résidence principale de l’entrepreneur individuel est déclarée insaisissable par les créanciers « dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle », de sorte qu’il bénéficiait de la protection de son habitation principale en cas de difficultés financières liées à son activité.

Aussi, au cours d’une procédure de divorce, se pose la question pour celui des époux qui exerce une activité indépendante, du maintien de l’insaisissabilité de sa résidence principale, prévue par les articles L526-1 et suivants du Code de commerce, lorsque ladite résidence est temporairement attribuée à l’autre époux…

C’est la question qui vient d’être tranchée par les juges du Quai de l’Horloge, dans un arrêt du 18 mai 2022, qui a reçu les honneurs de la publication au bulletin.

Comme vous l’aurez compris, à l’origine de ce contentieux : un divorce entre deux époux dont l’un exerce une activité indépendante.

En l’espèce, il s’agissait d’un coiffeur.

Mis en redressement puis en liquidation judiciaire, avec désignation d’un tiers liquidateur, qui a été autorisé par le juge commissaire, à procéder à la vente aux enchères publiques d’un bien immobilier appartenant au débiteur, et à son épouse.

Le juge aux affaires familiales avait attribué à Madame, la jouissance du domicile conjugal par ordonnance de non conciliation rendue au cours de la procédure de divorce des deux époux.

Elle fait appel de la décision du juge commissaire, refusant de voir son domicile vendu aux enchères à cause des dettes professionnelles de son futur ex-mari. Elle obtient gain de cause des premiers juges, mais c’est sans compter la persévérance du mandataire liquidateur qui se pourvoit en cassation.

Il considère en effet :

« qu’au cours de l’instance en divorce, les époux peuvent avoir des résidences séparées et que le logement familial dont la jouissance exclusive a été attribuée, par l’ordonnance de non-conciliation, à un époux, n’est plus la résidence principale de l’autre époux qui a été contraint de la quitter ».

C’est en effet à juste titre qu’il relève que l’époux entrepreneur individuel ne réside plus dans l’immeuble, du fait de l’attribution de la jouissance exclusive par le juge aux affaires familiales, à son épouse pendant la procédure de divorce.

Il revendique alors le droit de procéder à la réalisation de ce qui avait été la résidence familiale depuis son acquisition par les époux, mais qui ne l’était manifestement plus du fait de cette jouissance exclusive.

En considérant que la maison était la résidence principale de l’époux entrepreneur individuel, alors qu’il ne pouvait plus y résider suite à l’ordonnance de leur collègue aux affaires familiales, le contraignant à quitter le domicile, les juges de la Chambre commerciale ont violé les textes mentionnés en tête de cet article.

La Cour de cassation se range du coté du demandeur au pourvoi, et casse l’arrêt des juges du fonds en ces termes :

«  Vu les articles L. 526-1 du code de commerce et 255, 3° et 4°, du code civil :

4.  Il résulte de la combinaison de ces textes que, lorsque, au cours de la procédure de divorce de deux époux dont l’un exerce une activité indépendante, le juge aux affaires familiales a ordonné leur résidence séparée et attribué au conjoint de l’entrepreneur la jouissance du logement familial, la résidence principale de l’entrepreneur, à l’égard duquel a été ouverte postérieurement une procédure collective, n’est plus située dans l’immeuble appartenant aux deux époux dans lequel se trouvait le logement du ménage. Les droits qu’il détient sur ce bien ne sont donc plus de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de son activité professionnelle.

5.  Pour déclarer la demande du liquidateur tendant à la réalisation de l’immeuble au titre des opérations de liquidation irrecevable, l’arrêt retient que la décision judiciaire attribuant la jouissance exclusive de la résidence de la famille à Mme [X] est sans effet sur les droits de M. [K] sur le bien et sur son insaisissabilité légale.

 

6.  En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés » .

Attention donc à l’entrepreneur individuel exclu du domicile conjugal par décision du juge aux affaires familiales !

L’immeuble, qui était alors de droit insaisissable, le devient dès lors que l’entrepreneur individuel n’y réside plus. En effet, puisqu’il réside ailleurs, sa résidence principale est transférée ailleurs, et le domicile conjugal attribué à l’autre conjoint n’est plus sa résidence principale, et devient par essence saisissable par les créanciers professionnels.

Les juges suprêmes cassent leurs confrères qui avaient déclaré irrecevable la demande du liquidateur tendant à obtenir réalisation de l’immeuble au titre des opérations de liquidation, en retenant que la décision du juge aux affaires familiales attribuant la jouissance exclusive de la résidence de la famille à l’épouse, était sans effet sur les droits de ce dernier sur le bien, et donc sur son insaisissabilité légale.

L’entrepreneur individuel en procédure collective n’a donc pas du tout intérêt à voir le domicile conjugal attribué, lors de la procédure de divorce, à son futur ex-époux, sous peine de perdre l’immeuble au profit de ses créanciers professionnels qui auront la faculté de le vendre aux enchères.

En conclusion dès lors que l’entrepreneur individuel quitte son logement d’habitation constituant sa résidence principale au sens des articles 526-1 et suivants du Code de commerce, l’immeuble perd son statut d’insaisissabilité, peut donc être saisi par son liquidateur.

[1] Loi pour la croissance, l’activité, et l’égalité des chances économiques, du 6 Aout 2015 dite « loi macron ».

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