SOURCE : Cour de cassation, Chambre commerciale 15 Décembre 2021, N°20.12.307.
I – Conformément aux dispositions des articles L223-25 et L 223-27 du Code de commerce, dans les SARL, les associés ne peuvent convoquer eux-mêmes une assemblée générale, sauf à ce qu’un ou plusieurs associés, détenant la majorité du capital social, sollicite(nt) cette convocation auprès du gérant.
A défaut de l’obtenir, tout associé peut demander auprès du Juge des Référés[1], par définition le juge de l’urgence, de désigner un mandataire qui sera chargé d’effectuer cette convocation en lieu et place du gérant, et de fixer son ordre du jour.
Ces dispositions peuvent trouver leur application dans un contexte ou un ou plusieurs associés envisageraient la révocation du gérant, mais se verraient confrontés à la mauvaise foi de ce dernier, incapable d’envisager la remise en cause de son mandat.
C’est justement l’objet de ce contentieux.
II – L’associée majoritaire d’une SARL sollicite auprès du gérant, que soit convoquée expressément une assemblée générale avec pour ordre de jour de statuer sur sa révocation, et la désignation d’un nouveau gérant en ses lieu et place.
Confrontée, à l’opposition de son gérant, cette dernière n’a d’autres choix que de saisir le Président du Tribunal de commerce en la forme des référés, pour que soit désigné un mandataire ad hoc conformément aux disposions du code de commerce.
La Cour d’appel saisie considère, comme revendiqué par l’associée majoritaire, qu’elle est tenue d’y faire droit, sans même en apprécier l’opportunité. Refuser la désignation d’un mandataire ad hoc en appréciant l’opportunité de cette désignation reviendrait, selon elle à permettre au gérant de s’opposer à la convocation d’une AG en vue de sa révocation, ce qui s’opposerait frontalement aux droits des associés, qui est plus de l’associé majoritaire.
Ces arguments, qui semblaient pourtant valables, se sont heurtés au filtre des juges suprêmes.
Saisis du pourvoi, les juges de la Haute Cour reprochent à leurs collègues, de ne pas avoir apprécié l’opportunité de désigner le mandataire souhaité en se référant à l’intérêt social, qui devait normalement permettre de déterminer la nécessité de désigner le mandataire.
En effet, la Cour de cassation considère, dans cet arrêt qui a eu les honneurs de la publication au Bulletin, que cette décision doit être prise en corrélation étroite avec l’intérêt social, sur démonstration, par le demandeur, de l’intérêt de la société dans cette demande de désignation.
La Cour d’appel, qui n’est pas sensée apprécier les motifs de révocation d’un gérant, s’est crue légitime à ne pas apprécier non plus l’intérêt pour la société d’obtenir un mandataire ad hoc. En réalité, l’appréciation des motifs de la révocation intervient seulement a posteriori, par l’attribution de dommages et intérêts lorsque le gérant est révoqué « sans justes motifs », mais il n’a pas le droit d’être maintenu au poste de gérant, contre l’opposition des associés majoritaires.
Cependant, la Cour de cassation décide de confirmer la désignation validée par les juges d’appels, estimant que dans les faits, ni le gérant et ni la société, ne contestaient valablement la conformité de la demande de désignation à l’intérêt social, mais s’attardaient à critiquer, d’ores et déjà les motifs de la révocation.
Pour autant, cet arrêt marque un tournant important en droit prétorien.
III – Cet arrêt constitue un revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation.
En effet, la problématique était d’ores et déjà connue des juges de la Haute Cour, puisque a déjà donné lieu à un arrêt remarqué de la Chambre commerciale de 2019[2], qui, quoi que non publié au Bulletin, avait son importance.
Dans ce cas d’espèce, l’associé majoritaire entendait simplement changer de gérant. Pour autant, débouté par la Cour d’appel, qui avait privilégié le gérant actuel, qui s’était opposé à toute désignation de mandataire ad hoc, il s’acharne et se pourvoit en cassation.
A cette époque, les juges du Quai de l’Horloge cassent l’arrêt, considérant que la Cour d’appel :
« était tenue de faire droit à la demande de (associé majoritaire) de désignation d’un mandataire chargé de convoquer cette assemblée et n’avait pas à en apprécier l’opportunité ».
En toute logique, la seconde Cour d’appel saisie du renvoi, a donc légitimement considéré, compte tenu du principe posé préalablement par la juridiction suprême, qu’elle était tenue de faire droit à la demande de désignation « sans pouvoir en apprécier l’opportunité, notamment au regard de l’intérêt social ».
L’affaire a de nouveau été portée auprès de la Cour de cassation, qui, en rejetant le pourvoi, apportait une précision supplémentaire.
Elle affirmait cette fois que l’intérêt social doit être pris en compte dans la décision d’accéder ou non à la demande de désignation du mandataire ad hoc, mais pas systématiquement.
Les juges posaient une limite en considérant, que l’impératif de l’intérêt social devait s’effacer lorsqu’il se heurtait à une exigence plus forte, et dans cette hypothèse, la libre révocabilité des dirigeants sociaux.
Ainsi, les juges rappelaient notamment que, s’agissant de la révocation du gérant de SARL prévue à l’article L223-25 du Code de commerce, ce principe était d’ordre public, et serait tenu en échec si la réunion de l’assemblée générale au cours de laquelle devait être votée la révocation du gérant ne pouvait pas avoir lieu.
Par ce revirement de jurisprudence, le droit prétorien porte l’intérêt social comme guide ultime pour le juge, qui doit s’y référer pour statuer, et accepter ou non la désignation d’un mandataire ad hoc.
La nouvelle position de la Cour de cassation inquiète puisqu’elle semble permettre aujourd’hui au gérant, qui réussirait à démontrer l’absence de conformité d’une telle désignation vis-à-vis de l’intérêt social de la personne morale qu’il dirige, de demeurer titulaire de son mandat social en dépit de l’opposition des associés majoritaires ?
Les juges ont-ils créée un droit au maintien du mandat du gérant de SARL en l’absence de contrariété à l’intérêt social ?
Ce revirement ne sera surement pas le dernier, car il semble poser plus de questions qu’il n’apporte de réponse.
IV– L’appréciation de l’intérêt social pour la désignation d’un mandataire ad hoc n’est pas strictement limitée au cas des SARL.
En effet, la Cour de cassation s’est positionnée de manière strictement identique, en matière de Sociétés Anonyme, dans son arrêt du 13 janvier 2021[3] puisqu’elle indiquait dans ses titrages et résumés :
« La désignation d’un mandataire ad hoc en application de l’article L.225-103, II, 2°, du code de commerce n’est subordonnée ni au fonctionnement anormal de la société, ni à la menace d’un péril imminent ou d’un trouble manifestement illicite, mais seulement à la démonstration de sa conformité à l’intérêt social ».
Le droit prétorien affirme donc que l’intérêt social apparait comme seul critère permettant d’apprécier la nécessité de désigner un mandataire ad hoc chargé de convoquer les associés/actionnaires à une assemblée générale, et d’en fixer l’ordre du jour.
Par ailleurs, les sociétés civiles prévoient elles-aussi la faculté de demander en justice la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée, donc pourrait s’appliquée à celles-ci l’exigence de sa conformité à l’intérêt social.
[1] Articles L223-27 et R 223-20.
[2] C.Com, 6 février 2019, N°16.27.560
[3] Cass, com, 13 janvier 2021, N°18.24-853