Conjoint d’associé : Attention à la renonciation tacite du droit de revendication de la qualité d’associé.

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Désormais, la jurisprudence accepte la renonciation tacite du conjoint, qui n’a plus besoin d’être nécessairement écrite, tant qu’elle est non équivoque.  

Cour de cassation, Chambre commerciale financière et économique, 21 Septembre 2022 – n° 19-26.203 – Publié au Bulletin

I – Dans un arrêt qui reçoit les honneurs de la publication au bulletin, la Cour de cassation revient sur la notion de renonciation tacite au droit de revendication par l’époux de la qualité d’associé.

Au cas d’espèce, deux individus se sont mariés, sans contrat de mariage préalable.

L’épouse était associée, et gérante d’une SARL de transport.

Les difficultés apparaissent lorsque l’époux, invoquant les dispositions de l’article 1832-2 du Code Civil notifie à la SARL, son intention d’être personnellement associé à hauteur de la moitié des parts sociales correspondant à l’apport que son épouse avait effectué.

Confronté au refus de son épouse, et de la société, qui refusent de lui reconnaitre la qualité d’associé, et par voie de conséquence, de lui transmettre les documents sociaux réclamés, il introduit une action  à leur encontre.

II – Le texte prévoit en effet :

 «  (…)

La qualité d’associé est reconnue à celui des époux qui fait l’apport ou réalise l’acquisition.

La qualité d’associé est également reconnue, pour la moitié des parts souscrites ou acquises, au conjoint qui a notifié à la société son intention d’être personnellement associé. Lorsqu’il notifie son intention lors de l’apport ou de l’acquisition, l’acceptation ou l’agrément des associés vaut pour les deux époux. Si cette notification est postérieure à l’apport ou à l’acquisition, les clauses d’agrément prévues à cet effet par les statuts sont opposables au conjoint ; lors de la délibération sur l’agrément, l’époux associé ne participe pas au vote et ses parts ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité.

(…)  ».

Le législateur a prévu que, si celui des époux qui fait l’apport de fonds commun à une société pendant le mariage est reconnu d’office comme associé, l’autre peut également l’être s’il notifie son intention à la société, pendant la constitution ou après, sous réserve d’être agréé selon les termes statutaires.

Même si les droits financiers sont communs, les droit politiques n’appartiennent qu’à celui qui dispose de la qualité d’associé.

Cette distinction trouve toute son importance dans moulte situation, puisque les parts sociales d’un époux associé d’une SARL par exemple, n’entrent dans le régime de la communauté légale que pour leur valeur. Ainsi, l’époux associé peut en disposer seul tout au long du mariage, mais la communauté peut en revendiquer leur valeur financière  en cas de divorce.

De surcroit, un époux ne peut être condamné solidairement des dettes sociales de l’autre, associé en société sous prétexte du caractère commun des titres, sauf à démontrer que le premier avait bien la qualité d’associé, en ayant notifié son intention d’être personnellement associé (C.Cass, Civ, 3ème,  20 février 2002 N°99-15.474).

Pour autant, afin de sécuriser l’opération et éviter que le conjoint n’intervienne dans la société, il est possible d’obtenir de sa part, une renonciation préalable.

Ainsi, la jurisprudence avait alors d’ores et déjà établi, que le conjoint qui renonce par écrit, clairement et sans réserve, à revendiquer la qualité d’associé au titre de l’apport effectué par son époux à une SARL ne peut revenir ultérieurement sur sa décision (C.Cass, C.Com, 12 janvier 1993, N)90.21.126).

La renonciation était donc possible sous réserve d’être écrite, claire, et sans équivoque.

Pour autant, au cas d’espèce, s’est posée la question de la validité d’une renonciation tacite.

III – La Cour d’appel fait droit à sa demande, et reconnait l’époux en qualité d’associé. Elle ordonne ainsi la communication des bilans, comptes de résultats, rapports gestion, procès-verbaux d’assemblées générales relatifs aux exercices sollicités.

Les défendeurs se pourvoient en cassation, considérant notamment que :

 « seul peut revendiquer la qualité d’associé d’une société, celui qui est animé d’une volonté réelle et sérieuse de collaborer activement et de manière intéressée dans l’intérêt commun, avec les autres associés, à la réalisation de l’objet social ; qu’en se bornant néanmoins à affirmer, pour décider que M. [E] [I] pouvait se prévaloir de la qualité d’associé de la société Transports [I], qu’aucun risque de paralysie de la société ne pouvait faire échec à sa faculté de revendiquer sa qualité d’associé, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si M. [I] était animé d’une volonté réelle et sérieuse de collaborer avec Mme [B], pour l’exercice d’une activité commune, dans l’intérêt de la société, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1832, 1833 et 1832-2 du code civil »

Les juges de la Haute Cour ont a contrario considéré que l’affectio societatis n’était pas une condition requise dans le texte pour qu’un époux puisse obtenir la qualité d’associé. Ils ont donc considéré que le moyen n’était pas fondé. Ce moyen a donc été écarté.

Pour autant, demandeurs au pourvoi évoquent un second argument qui doit attirer l’attention du lecteur de Chronos :

« en l’absence de disposition légale contraire, la renonciation à un droit n’est soumise à aucune condition de forme ; qu’elle peut être tacite dès lors qu’elle résulte d’actes manifestant sans équivoque la volonté de son auteur de renoncer à ce droit ; qu’en affirmant néanmoins, pour décider que M. [I] pouvait se prévaloir de la qualité d’associé de la société Transports [I], que s’il avait la possibilité de renoncer à son droit de revendiquer sa qualité d’associé, cette renonciation ne pouvait être qu’expresse, aucune renonciation tacite ne pouvant faire obstacle à l’exercice de son droit, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

C’est là tout l’enjeu de l’arrêt, qui permet aux juges de prendre position sur l’efficience d’une renonciation tacite.

C’est dans un sens favorable aux demandeurs que la Cour de cassation intervient, considérant que la renonciation du conjoint commun en biens à son droit de revendication peut être tacite dès lors que les circonstances factuelles établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer.

« 12. La renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer.


13. Pour dire que M. [I] avait la qualité d’associé depuis le mois de juin 2007 et ordonner à la société Transports [I] de lui communiquer certains documents sociaux, l’arrêt retient que si l’époux peut renoncer, lors de l’apport ou de l’acquisition des parts par son conjoint, ou ultérieurement, à exercer la faculté qu’il tient de l’article 1832-2, alinéa 3, du code civil, c’est à la condition que cette renonciation soit expresse et non équivoque et que la renonciation tacite dont se prévalent Mme [B] et la société Transports [I] ne suffit pas à faire obstacle au droit de M. [I] d’exercer cette revendication.


14. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé .

La renonciation tacite à un droit est donc jugée valable.

En conclusion, les juges de la Haute Cour étendent l’interprétation de l’article 1832-2 du Code Civil, et du cadre juridique de la renonciation à la qualité d’associé, qui pourra dorénavant être tacite.

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