Plan de redressement par voie de continuation : de la tierce opposition d’actionnaire évincée par un coup d’accordéon

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

Le recours d’un actionnaire victime d’un coup d’accordéon ordonné par un plan de redressement par voie de continuation de la société débitrice est recevable en tant que tel, mais son bienfondé doit être apprécié avec la nécessité d’assurer la pérennité de l’entreprise.

I –

La Cour d’Appel de ROUEN avait à statuer en renvoi après Cassation[1] partielle d’un Arrêt de la Cour d’Appel de CAEN du 20 septembre 2018, qui avait déclaré irrecevable un actionnaire d’une société à faire tierce opposition à l’encontre d’un Jugement arrêtant le plan de redressement par voie de continuation de la société dans laquelle il était actionnaire, au motif notamment que le plan autorisait la mise en place d’un coup d’accordéon, c’est-à-dire une réduction du capital à zéro avec, corrélativement, la disparition de sa qualité d’associé, suivie immédiatement d’une augmentation de capital dans lequel il était privé de son droit préférentiel de souscription, c’est-à-dire de la possibilité de rester actionnaire en souscrivant à la nouvelle augmentation de capital.

La censure est prononcée au visa de l’article 583 du Code Civil au motif que si l’associé est, en principe, représenté dans les litiges opposant la société à des tiers par le représentant légal de la société, il est néanmoins recevable à former tierce opposition contre un Jugement auquel celle-ci a été partie s’il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre. L’associé qui prétend que le plan de redressement judicaire de la société porte atteinte à sa qualité d’associé par la suppression de son droit préférentiel de souscription, invoque un moyen qui lui est propre, peu importe que ce droit ait été supprimé à tous les associés.

La censure de la décision du second degré apparaissait d’autant plus légitime que l’actionnaire devenait, en quelque sorte, le créancier le plus mal traité de la procédure collective. Rappelons, en effet, que tout associé ou actionnaire est créancier de la société : le capital social est  comptabilisé au passif du bilan comme une dette de celle-ci à l’endroit de ses actionnaires ou associés. Et sur ce point, lorsque la Cour de Cassation dans son Arrêt de censure fait référence à ces précédents jurisprudentiels, elle cite un Arrêt du 15 novembre 2017[2] par lequel elle admet la recevabilité d’un créancier à former tierce opposition d’un Jugement arrêtant un plan de sauvegarde nuisant à ses intérêts.

A cet égard, il doit être rappelé les dispositions de l’article L.626-19 du Code de Commerce selon lequel le plan peut prévoir un choix pour les créanciers entre un paiement dans des délais uniformes plus brefs mais assorti d’une réduction proportionnelle du montant de la créance. En d’autres termes, l’abandon de créance suppose l’accord explicite du créancier à une renonciation de toute ou partie de sa dette, en contrepartie, d’un moratoire plus court sur le paiement du reste de la dette moratoriée. Ainsi, à lire l’Arrêt censuré de la Cour d’Appel de CAEN, l’actionnaire, qui en cette qualité est créancier de la société, serait privé de la possibilité de contester par le truchement de la tierce opposition l’annulation de sa créance de capital social. Le principe n’était pas défendable, il a été donc logiquement censuré.

Evidemment, le sort de cette créance est débattue au regard des dispositions dérogatoires du titre 6 du Code de Commerce sur le traitement collectif des difficultés des entreprises, et plus particulièrement au cas d’espèce de l’article L.626-3 du Code de Commerce ainsi rédigé :

« Lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital ou des statuts, l’assemblée générale extraordinaire ou l’assemblée des associés ainsi que, lorsque leur approbation est nécessaire, les assemblées spéciales mentionnées aux articles L. 225-99 et L. 228-35-6 ou les assemblées générales des masses visées à l’article L. 228-103 sont convoquées dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat. Le Tribunal peut décider que l’assemblée compétente statuera sur les modifications statutaires, sur première convocation, à la majorité des voix dont disposent les associés ou actionnaires présents ou représentés dès lors que ceux-ci possèdent au moins la moitié des parts ou actions ayant le droit de vote. Sur deuxième convocation, il est fait application des dispositions de droit commun relatives au quorum et à la majorité ».

En d’autres termes, la loi instaure un quorum et une majorité spécifique qui s’affranchissent des dispositions statutaires, notamment celles qui instaurent un quorum et une majorité qualifiée.

Sur ce point, la Cour d’Appel de ROUEN suit la trace créée par la Cour de Cassation, sans qu’il soit nécessaire de commenter plus avant cette décision qui admet comme recevable la tierce opposition.

C’est en revanche sur le fonds de la tierce opposition que la décision interpelle.

II –

S’agissant du coup d’accordéon, la Cour de Cassation admet depuis fort longtemps la validité de l’opération de réduction du capital par annulation de toute ou partie des droits sociaux, suivie de son augmentation[3]. Elle a admis en particulier la validité d’une réduction à zéro du capital social sous la condition suspensive dans la même délibération sociale d’une augmentation[4], y compris dans un cas où le droit préférentiel de souscription des anciens associés avait été supprimé[5]. Pour autant, l’annulation du coup d’accordéon peut être prononcée en cas d’une fraude visant à exclure un minoritaire[6]. A la fraude s’ajoute le droit pour l’associé de le rester. Principe consacré, concernant la réduction du capital, par l’article L.225-204 du Code de Commerce qui dispose que :

« En aucun cas, elle ne peut porter atteinte à l’égalité des actionnaires ».

Concernant le droit préférentiel de souscription implicitement par l’article L.225-135 du même Code qui dispose que :

«(…) [l’Assemblée Générale] peut supprimer ce droit préférentiel de souscription pour la totalité de l’augmentation de capital ou pour une ou plusieurs de ces tranches (…) ».

Ce qui signifie que tous les actionnaires subissent, de la même manière, la suppression du DPS.

Ainsi, la Cour de Cassation rechigne à annuler des coups d’accordéon lorsque le droit préférentiel de souscription a été maintenu[7]. La solution est logique puisque (là encore en l’absence de fraude) l’actionnaire peut souscrire à l’augmentation de capital et ainsi contribuer à renforcer les fonds propres de la société, ce qui lui permet, par la même occasion, de conserver son statut d’actionnaire.

On retiendra que le coup d’accordéon est légitime lorsque l’opération est commandée par la protection de l’intérêt de l’entreprise, c’est-à-dire, lors de la constatation de perte suffisamment importante pour que la pérennité de l’entreprise soit mise en cause. Il s’agit, la plupart du temps, d’éviter l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire ou, comme dans l’Arrêt commenté, de permettre l’adoption d’un plan de redressement par voie de continuation.

C’est en revanche la suppression du droit préférentiel de souscription, qui pose problème puisqu’il heurte le principe du droit fondamental d’un associé de le rester, mais interpelle également au regard des articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) du 26 août 1789, en portant atteinte aux droits de propriété de l’associé par le mécanisme de la réduction de capital, sans possibilité de souscrire à une nouvelle augmentation de capital à raison de la suppression du droit préférentiel de souscription.

Ce même raisonnement peut être opposé en se référant au droit conventionnel et à l’article 1er du protocole additionnel n°7 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme sur la protection du droit de propriété individuelle.

Bien entendu, il ne s’agit pas de contester l’annulation juridique de la valeur d’actions qui, d’un point de vue économique, valait zéro[8]. Mais c’est la suppression, de concourir à une nouvelle augmentation de capital pour préserver son statut d’actionnaire qui constitue une destruction d’une des prérogatives attachée à la priorité de ses actions.

Or, la Cour d’Appel, en déclarant la tierce opposition mal fondée, autorise la suppression du droit préférentiel de souscription pour des motifs qu’il faut reprendre :

« Il ressort de ces éléments que l’opération de réduction du capital à zéro et son augmentation au profit d’un tiers, n’a été adopté que pour assurer la pérennité de l’entreprise mise en péril par le comportement des anciens actionnaires dirigeants. Cette opération qui n’a fait que sanctionner l’obligation de Madame X de contribuer aux pertes sociales dans les limites de son apport, n’a pas constitué une atteinte à son droit de propriété ».

Il faut comprendre de la lecture de cette décision que le droit préférentiel de souscription a été supprimé conformément au texte, vraisemblablement après une Assemblée Générale Extraordinaire votée à la majorité des textes précités, mais en statuant de la sorte, la Cour d’Appel se positionne en censeur de l’orthodoxie de gestion , motif, à notre avis, insuffisant pour priver l’actionnaire d’un droit constitutionnel attaché à la propriété de ses actions, parce qu’en définitive, rien d’interdisait de maintenir le droit préférentiel de souscription et ainsi faire concourir les anciens actionnaires et les nouveaux actionnaires à l’augmentation de capital, sauf, et c’est là la limite de l’exercice et corrélativement de notre contestation, à préciser ce que l’Arrêt ne fait pas, que les nouveaux actionnaires ont fait de la détention de la totalité du capital une condition essentielle à leur offre d’entrée au capital en vue d’assurer le plan de redressement de l’entreprise.

Le débat est de toute façon intéressant à porter puisque la Chambre Commerciale, dans un Arrêt du 12 octobre 2022[9] a saisi le Conseil Constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité à propos des clauses d’exclusion statutaire de SAS adoptées en application des articles L.227-16 et L.227-19 du Code de Commerce. Il s’agit, notamment de porter la question de l’atteinte aux droits de propriété de l’associé visé par la mesure d’exclusion et celle de son consentement au principe de l’insertion d’une telle clause.

Pour rappel, l’article l.227-19 alinéa 2 dans sa version issue de la loi SOILIHI en vigueur au 21 juillet 2019 a substitué à l’exigence légale d’unanimité pour l’insertion et la modification des clauses d’exclusion de l’article L.227-16 au profit d’une simple majorité.

Les sujets peuvent paraître éloignés, mais à la réflexion, pas tant que ça puisque le dénominateur commun est en définitive l’exclusion, selon les méthodes retenues, d’un associé contre son gré.

Eric DELFLY

VIVALDI-AVOCATS


[1] Cass. Com. 31 mars 2021 n° 19-14.839 F – P

[2] Cass. Com. 15 novembre 2017 n° 16-14.630 Bull. 2017 IV n° 154

[3] Cass. Civ. 29 janvier 1894, DP 1894 page 313

[4] Cass. Com. 17 mai 1994 n° 91-21.364 Bull. Civ. IV n°183

[5] Cass. Com. 18 juin 2002 n° 99-11.999 Bull. Civ. IV n°108

[6] Pour une décision récente voir Cass. Com. 07 mai 2019 n°17-18.785 fd

[7] Voir Cass. Com. 1er juillet 2008 n° 07-20.643 F-P+B

[8] Ce pourrait d’ailleurs être une valeur négative, s’il s’agissait d’une société civile, une société en non collectif ou une société en commandite pour laquelle les associés peuvent être tenus indéfiniment du passif social avec ou sans solidarité.

[9] Cass. Com. 12 octobre 2022 n°22-40.013 F-B

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