SOURCE : 3ème civ, 19 novembre 2015, n°14-24612, Publié au bulletin
Interdite en France depuis 1997, l’amiante subsistent encore dans les bâtiments « anciens » qui contiendraient encore, selon l’INRS[1], des dizaines de millions de mètres carrés de matériaux amiantés ( plaques ondulées, conduites ou canalisations en amiante-ciment, dalles ou revêtements de sols, faux-plafonds, mortiers, colles, enduits, mastics, joints, peintures, bitumes, calorifugeages et flocages).
Or des expositions courtes et répétées à l’amiante, même minimes, provoquent de graves maladies respiratoires, comme le mésathélome pleural, se déclarant en moyenne 20 à 40 ans après le début de l’exposition.
Ce risque a notamment conduit le législateur à enjoindre tout propriétaire de locaux lors de la conclusion d’un bail, de mettre à la disposition du preneur un diagnostic technique amiante (DTA)[2], l’inexécution de cette obligation étant sanctionnée pénalement par une amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe[3].
Un tel diagnostique relevant l’existence de matériaux ou produits de la liste A ou B contenant de l’amiante dégradé ou présentant un risque de dégradation rapide, conduisent le propriétaire à procéder des mesures de confinement ou de retrait[4]. Le propriétaire peut naturellement y procéder spontanément.
En l’espèce, un bailleur procède au désamiantage de la toiture en fibrociment (produit amianté de liste C[5]), de l’immeuble donné à bail, conduisant le preneur à alerter le CHSCT de la difficulté.
A la suite d’une visite des locaux et d’échanges épistolaires avec le bailleur, le preneur et la société de désamiantage, qui lui transmet les résultats négatifs des prélèvements d’air, l’inspection du travail précise qu’il n’est pas possible d’affirmer que les travaux de désamiantages dans les conditions constatées ne présentent aucun risque pour les salariés.
Bien qu’aucune injonction administrative ni autre recommandation ne s’en suive, l’employeur-preneur décide, sur cette base, d’évacuer les locaux le temps des travaux, anticipant sans doute l’engagement de sa responsabilité pour faute inexcusable, fondée sur la jurisprudence « Amiante » de la Chambre Sociale de la Cour de cassation, et plus précisément le manquement à son obligation de sécurité de résultat. En effet, lorsque l’employeur est censé avoir conscience du danger auquel sont exposés ses salariés, il doit prendre les mesures de prévention ou de protection nécessaires pour les en préserver[6].
Le preneur a refusé de s’acquitter du loyer pendant la période d’éviction, invoquant l’exception d’inexécution pour trouble de jouissance. A tort, selon la Cour d’appel de Paris qui, dans sa décision du 4 juin 2014, reproche au preneur son initiative, alors qu’aucune des analyses effectuées ne montrait l’existence d’un quelconque risque de propagation d’amiante, et que les autorités administratives s’étaient abstenues d’une quelconque injonction ou mesure contraignante.
L’arrêt est cassé par la Cour de cassation :
« Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que, le 11 avril 2008, l’inspecteur du travail, connaissance prise des résultats négatifs de prélèvements, soulignait l’impossibilité d’affirmer que la poursuite des travaux dans les conditions constatées ne présentait aucun risque pour les salariés, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé »
Pour la Haute Juridiction, au visa de l’article 1719 du Code civil, rappelant dans un attendu de principe l’obligation du bailleur de faire jouir paisiblement le preneur de la chose louée, seul le risque nul permettait au bailleur de remplir ses obligations. Tel n’est pas le cas s’agissant du présent désamiantage qui représentait, à dire de l’inspection du travail, certes un risque minime, mais un risque existant, susceptible de permettre au salarié développant une maladie pulmonaire peu ou prou rattachable à l’amiante, d’engager la responsabilité de l’employeur-preneur au titre de cette exposition.
Il appartiendra donc à la Cour d’appel de Versailles, statuant en Cour de renvoi, d’apprécier si ce trouble de jouissance permet au preneur de retenir l’intégralité, ou une quote part des loyers. En revanche, nul doute que l’exception d’inexécution se révèlera justifiée.
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1]Cf www.amiante.inrs.fr/
[2] Article R1334-29-5 du Code de la santé publique Sur ce sujet, cf notre article chronos du 26 juin 2014 Conclusion et poursuite du bail commercial à la lumière du droit de l’environnement
[3] Articles R1337-3 et R1337-3-2 CSP
[4]Articles R 1334-20 à R 1334-22 du CSP.
[5] Article Annexe 13-9 du CSP
[6] Cass. soc., 28 févr. 2002, n° 99-17.201, n° 99-17.221, n° 99-18.389, n° 99-21.255, n° 00-10.051, n° 00-11.793 et n° 00-13.172 [7 arrêts], Bull. civ. 2002, V, n° 81 ; Cass. 2e civ., 14 oct. 2003, n° 02-30.231 et n° 02-30.233; Bull. civ. 2003, II, n° 300 ; Cass. 2e civ., 31 mai 2006, n° 04-30.654; JCP S 2006, 1701 , Coursier ; Bull. civ. 2006, II, n° 141.