Source : Cass. com., 28 février 2018, n°16-24.867, F-P+B+I
I – Les textes visés
Il résulte des dispositions de l’article L. 622-24 du Code de commerce qu’à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception des salariés, adressent la déclaration de leur créance au mandataire judiciaire.
L’article L. 622-25 du même code prévoit que la déclaration porte le montant de la créance due au jour du jugement d’ouverture avec indication des sommes à échoir et de la date de leurs échéances.
Enfin l’article R. 622-23 du même code précise qu’outre les indications prévues à l’article L. 622-25, la déclaration de créance contient :
1° Les éléments de nature à prouver l’existence et le montant de la créance si elle ne résulte pas d’un titre ; à défaut une évaluation de la créance si son montant n’a pas encore été fixé ;
2° Les modalités de calcul des intérêts dont le cours n’est pas arrêté, cette indication valant déclaration pour le montant ultérieurement arrêté.
La finalité de cette exigence est de fournir le mode de calcul à utiliser pour obtenir la somme globale à déclarer dans le délai légal.
II – L’espèce
Une société est mise en redressement judiciaire, et une banque déclare une créance, au titre d’un prêt, pour un montant global non échu de 298.242 € intégrant les cotisations d’assurance décès-invalidité et les intérêts au taux contractuel de 3,65 % l’an, à titre privilégié.
Le juge-commissaire admet la créance à concurrence de la somme de 262.079,43 € à titre privilégié, correspondant au capital de la dette non échue, outre les intérêts au taux de 3,65 %. 30.639,57 € réclamés au titre des intérêts conventionnels à échoir sont rejetés, au motif que les intérêts de la dette, qui naissent de la mise à disposition dans le futur de la somme prêtée, ne pouvaient figurer sur l’état du passif au jour du jugement déclaratif.
La Cour d’appel (CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 12 avril 2016, n° 15/04072) confirme cette décision, estimant que le juge-commissaire a fait une correcte application des dispositions légales et réglementaires et évité que les intérêts « ne soient admis deux fois ». La banque a formé un pourvoi en cassation.
III – L’arrêt de rejet
La banque soutient qu’elle a déclaré au passif du redressement judiciaire de la société débitrice sa créance, au titre d’un prêt, à hauteur de 298.242 € comprenant le capital restant dû et les intérêts contractuels au taux de 3,65 %, selon tableau d’amortissement joint à la déclaration. Or, pour n’admettre que le montant du capital restant dû au jour du jugement d’ouverture, en précisant que ce montant serait assorti des intérêts au taux conventionnel de 3,65 % l’an, la cour d’appel a considéré que les intérêts de la dette, qui naissent de la mise à disposition dans le futur de la somme prêtée, ne pouvaient figurer sur l’état du passif au jour du jugement déclaratif.
Pour la banque l’article R. 622-23 du Code de commerce n’exige l’indication des modalités de calcul des intérêts dont le cours n’est pas arrêté que dans le cas où leur montant ne peut être calculé au jour de la déclaration de la créance[1]. Cependant, lorsque le montant des intérêts à échoir peut être calculé à la date de la déclaration, la créance doit être admise en principal et en intérêts, sans que le créancier n’ait à opérer de distinction entre ces deux postes de créance.
En outre, la banque a déclaré au passif de la procédure collective de la débitrice la somme suivante au titre du crédit accordé :
« A titre non échu : 298.242,00 € correspondant à 54 échéances impayées de 5.523 €, intégrant assurance et intérêts au taux contractuel de 3,65% l’an, outre majoration de taux et pénalités contractuelles en cas d’échéance impayée (page 33 du prêt) ou d’exigibilité anticipée (page 33 du prêt) » ;
Les intérêts au taux conventionnel de 3,65% étaient donc inclus dans la somme de 298.242 € déclarée par la banque, de sorte que l’admission de la somme de 298.242 €, réclamée par la banque dans sa déclaration de créance, n’impliquait en rien une « double admission » des intérêts. La banque reproche en outre à l’ordonnance du juge-commissaire de s’être abstenue de se prononcer sur les intérêts de retard majoré, et l’indemnité forfaitaire de remboursement anticipé.
La Cour de cassation répond par, en quelque sorte, un parallélisme des formes, en précisant que :
« Si aucun texte n’oblige le créancier à distinguer, dans la déclaration de créance, le montant des intérêts à échoir du montant du capital restant dû, il est loisible au juge-commissaire d’admettre la créance d’intérêts de manière distincte et de substituer à leur montant déclaré les modalités de calcul qui résultent du contrat de prêt »
Autrement dit, si le créancier dispose d’une certaine liberté pour présenter sa déclaration de créance en distinguant ou non les intérêts à échoir du capital restant dû, le juge-commissaire dispose en retour d’une certaine liberté dans les modalités d’admission de la créance d’intérêts à échoir.
IV – Un souci de souplesse dans la déclaration de créance
La Chambre commerciale a déjà estimé que le juge-commissaire devait, en ce qui concerne les intérêts continuant à courir après le jugement d’ouverture, se borner à indiquer les modalités de calcul retenues, sans en fixer le montant, sa décision valant admission, dans la limite de ces modalités, de la créance d’intérêts telle qu’arrêtée ultérieurement[2].
La Cour de cassation a ainsi réduit la contrainte à la mesure de son utilité, pour éviter au créancier, mais aussi au juge-commissaire, un découpage que les textes n’imposent pas, et qui n’aurait pas une grande utilité pour ce dernier chargé de vérifier la déclaration de créance.
En revanche, une banque ne satisfait pas au formalisme exigé par l’article R. 622-23 du Code de commerce, en mentionnant sur sa déclaration de créance les intérêts postérieurs «pour mémoire», cette seule mention ne pouvant être considérée comme suffisante et la carence de la banque ne pouvant être suppléée par le fait que les modalités de calcul figuraient dans l’acte de prêt notarié et étaient rappelées de manière sibylline en tête du décompte certifié sincère. La souplesse a ses limites.
Thomas LAILLER
Vivaldi-Avocats
[1] Cass. com., 5 mai 2015, no14-13.213, P
[2] Cass. com., 22 novembre 1994, n°92-20.115, publié au Bulletin