CSG-CRDS sur les revenus de source française d’un non affilié à la Sécurité Sociale Française : le casse-tête français

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

SOURCES :  

Cons Const n° 2016-615 QPC du 9 mars 2017

CJUE 26 février 2015, aff. C-623-13 Ministre de l’Economie et des Finances/Gérard DE RUYTER

I – SI VOUS AVEZ RATE LE DEBUT

Si vous lisez cet article, c’est que vraisemblablement, le sujet est une de vos sources de préoccupation. Pour autant la compréhension de la décision du Conseil Constitutionnel nécessite un bref rappel de cette querelle.

A la base du contentieux, une Administration fiscale française qui prétend au versement de la CSG-CRDS, sur les revenus du patrimoine de source française, de toute personne physique, qu’elle relève ou pas d’un régime de sécurité sociale d’un état tiers (qu’il soit membre ou pas de l’Union Européenne).

Tel n’était pas l’avis de certains contribuables français qui travaillant dans un autre Etat membre, estimaient ne pas être soumis aux contributions sociales françaises, thèse que va admettre la CJCE dans on arrêt DE RUYTER.

            I – 1. L’arrêt « DE RUYTER »

Dans le cadre d’une décision préjudicielle formée par le Conseil d’Etat, la Cour a jugé que les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine perçus par la France, relevaient du champ d’application du Règlement Européen n° 1408-71, ce qui signifie que si ces contributions sociales relèvent du Règlement Européen, leur prélèvement sur le revenu du patrimoine qui sont soumis à la législation de sécurité sociale d’un autre Etat membre, sont incompatibles tant avec l’interdiction du cumul des législations applicables en matière de sécurité sociale consacrées par l’article 13, § 1 du Règlement n° 1408/71 précité, qu’avec la libre circulation des travailleurs et la liberté d’établissement garantie par le traité.

En pratique, la CJCE a considéré qu’un contribuable domicilié en France mais travaillant au Pays-Bas, ne pouvait pas être soumis aux prélèvements sociaux (CSG-CRDS…) en France, sur ses revenus du patrimoine, puisqu’il relevait de la Sécurité Sociale néerlandaise et non française[1].

Etaient concernés par la décision :

les non-résidents de nationalité française ou étrangère de l’Union Européenne (et bien entendu assujettis à un régime autre que le régime de Sécurité Sociale français) ;

ou des résidents français (de nationalité française ou étrangère) qui travaillent dans un pays de l’Union Européenne et sont donc assujettis à un régime de Sécurité Sociale du pays où ils exercent leur activité.

Les revenus concernés par la décision étaient bien entendu :

les gains et revenus immobiliers (plus-values de cession et revenus fonciers) ;

mais également des gains et revenus mobiliers (plus-values de cession et dividendes).

La CJCE n’ayant pas tranché le litige national, il appartenait aux juridictions françaises, autrement dit le Conseil d’Etat, de résoudre l’affaire, conformément à la décision de la Cour.

Et c’est ainsi que le Conseil d’Etat, dans une décision du 27 juillet 2015[2], a déchargé Monsieur DE RUYTER des cotisations de Contributions Sociales Généralisées (CSG), de Contributions pour le Remboursement de la Dette Sociale (CRDS), du prélèvement social de 2 % et de la contribution additionnelle à ce prélèvement, auxquelles il a été assujetti au titre des années 1997 à 1999 et 2001 à 2004, à raison de rentes viagères à titre onéreux qu’il a perçues de sources néerlandaises.

La DGFIP avait de mauvaise grâce tiré les enseignements de cet arrêt et dans un communiqué publié[3], confirmé l’arrêt des perceptions des prélèvements sociaux dus sur les plus-values mobilières et immobilières et mettait en place un processus (laborieux) de restitution (sur demande) de la CSG-CRDS, illégitimement prélevée.

Fin de la partie… non.

I – 2. Maintien pour les non-résidents de nationalité française ou étrangère hors UE ou les résidents français qui travaillent hors UE des prélèvements CSG-CRDS

En effet, l’arrêt « DE RUYTER » ne sanctionnait le prélèvement CSG-CRDS que parce qu’il était contraire à l’article 14 du Règlement CE 1408-71. En d’autres termes, la CSG-CRDS ne pouvait être réclamée à chaque fois que le contribuable relevait d’un régime de sécurité sociale d’un état membre de l’UE autre que la France.

Quid alors de la décision « DE RUYTER » aux personnes dépendant de régimes sociaux hors Espace Economique Européen (EEE) ?

Une première approche a été tentée par le Député Frédéric LEFEBVRE, qui a déposé une proposition de loi (restée dans les cartons) visant à tirer les conséquences de l’arrêt DE RUYTER et à abroger la soumission à la contribution sociale généralisée à la contribution pour le remboursement de la dette, les revenus fonciers et les plus-values des français établis hors de France.

Mais faute d’intervention législative, les juridictions administratives ont eu vite fait de relever, à l’instar de la Cour Administrative de MARSEILLE[4], que les personnes fiscalement domiciliées en France, qui relèvent du régime de Sécurité Sociale d’un pays tiers (en l’espèce MONACO), ne peuvent se prévaloir des principes dégagés par l’arrêt dit « DE RUYTER » pour demander la décharge de prélèvements sociaux. L’affaire est allée jusqu’au Conseil d’Etat, avec un moyen de cassation plutôt pertinent développé devant la Haute Juridiction Administrative. Il était notamment fait grief aux juridictions du fond, d’avoir méconnu les principes d’égalité devant la loi et devant les charges garanties par les articles 6 et 13 et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen 1789 et d’une absence de justification par une défiance de situation en rapport avec l’objet de la disposition législative contestée, à savoir, l’article L 136-6 du Code de la Sécurité Sociale.

Le Conseil d’Etat, dans une décision en date du 15 décembre 2016[5] a renvoyé au Conseil Constitutionnel, une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’assujettissement de la CSG des revenus du patrimoine perçus par les non-résidents affiliés au régime de sécurité sociale d’un pays tiers à l’Union Européenne.

Pour le Conseil d’Etat, l’article L 136-6 § 1 e du Code de la Sécurité Sociale, dans sa rédaction issue de la LFR 2006, est conforme à la constitution.

Explications :

II – DECISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

            II – 1. La décision

Le Conseil Constitutionnel (§ 8) constate tout d’abord que la jurisprudence du Conseil d’Etat, sur les contributions sociales relevant de l’article L 136-6 du Code de la Sécurité Sociale, entre dans le champ d’application du Règlement Européen du 29 avril 2004, et se trouve par conséquent soumise au principe de l’unicité de la législation (sociale) posé par l’article 11 de ce règlement.

Aussi le Conseil Constitutionnel fait-il sienne la décision rendue dans l’arrêt « DE RUYER » pour les ressortissants de l’Union Européenne.

Restait à traiter le sort de ces cotisations sociales pour les personnes rattachées à un autre régime de sécurité sociale dans un pays hors EEE.

Ou plus clairement posé, doit-on faire une distinction pour ce type de cotisations sociales, au pays de rattachement des cotisations de sécurité sociale (EEE ou pays tiers) ? Et la réponse du Conseil d’Etat est oui, cette distinction ne se heurte pas au principe selon lequel la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Ainsi, selon le Conseil Constitutionnel, le principe d’égalité ne s’oppose « ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre des cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. »

Et à cet égard, la Haute Cour Constitutionnelle juge que même s’il résulte des dispositions contestées (§ 12) « telles qu’interprétées par une jurisprudence constante, une différence de traitement au regard de l’assujettissement à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine entre les personnes relevant du régime de Sécurité Sociale d’un Etat membre de l’Union Européenne et celles relevant du régime de Sécurité Sociale d’un Etat tiers » (…) « Ces dispositions ont pour objet d’assurer le financement de la protection sociale dans le respect du droit de l’Union Européenne qui exclut leur application aux personnes relevant d’un régime de Sécurité Sociale d’un autre Etat membre de l’Union Européenne. Au regard de cet objet, il existe une différence de situation qui découle notamment du lieu d’exercice de leur activité professionnelle entre ces personnes et celles qui sont affiliées à un régime de sécurité sociale d’un Etat tiers. La différence de traitement établie par les dispositions contestées est ainsi en rapport direct avec l’objet de la loi. »

            II – 2. Conséquence de l’arrêt

Elles sont évidemment financières. Ainsi :

Vous aurez à payer la CSG-CRDS si vous êtes résident français et assujetti aux Caisses de Sécurité Sociale françaises ;

De même, si vous êtes résident UE et ne justifiez pas être attaché à une Caisse de Sécurité Sociale d’un Etat membre de l’UE (exemple : absence de source de revenus étrangère) ;

Ou si vous êtes résident ou non français, mais êtes rattaché à une Caisse de Sécurité Sociale d’un pays tiers à l’EEE ;

Vous ne payerez pas la CSG-CRDS si :

– Vous êtes résident français, mais assujetti à un régime de Sécurité Sociale d’un pays de l’UE ;

– Vous êtes non-résident français, mais résident UE et assujetti comme tel à une Caisse de Sécurité Sociale d’un pays de l’UE hors France ;

– Vous êtes résident hors EEE mais assujetti à un régime de Sécurité Sociale d’un pays de l’UE.

Bref… le casse-tête français, qui ne s’explique que par un système de hiérarchie des normes dont il faut comprendre le b.a.-ba.

III – LE PRINCIPE DE HIERARCHIE DES NORMES EN DROIT FRANÇAIS : LA SOURCE DU CASSE-TETE

Les normes françaises obéissent à une hiérarchie qui peut se résumer comme suit :

En principe, tout va bien puisque les normes en dessous du bloc constitutionnel, doivent être toutes conformes à la constitution, en ce compris les traités internationaux, et notamment le TFUE qui pour être ratifié par une loi française, devait être nécessairement conforme au bloc constitutionnel.

Ainsi, les « bons esprits » pourront-ils en déduire que quelle que soit la norme que l’on appréhende, elle sera analysée de la même manière, quelle que soit la juridiction, c’est-à-dire le Conseil Constitutionnel, les juridictions européennes et notamment la CJUE et la CESDH, ainsi que les juridictions françaises et notamment le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation.

Et bien non. Depuis un certain temps déjà, on relève des conflits de décisions entre le Conseil Constitutionnel, immédiatement suivi par le Conseil d’Etat ou la Cour de Cassation, et les juridictions européennes, que sont la CJUE et la Cour Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme.

Il s’ensuit que votre sort sera réglé différemment selon qu’il est examiné par une juridiction française ou européenne.

Comment cela est-il possible ? La décision commentée en est le parfait exemple. Dans l’affaire DE RUYER, le contribuable contestait la contradiction des dispositions du Code de la Sécurité Sociale, avec la règlementation européenne. Le contrôle de la conformité des lois françaises avec les traités internationaux, relève de la compétence des juridictions du fond, et notamment de la Cour de Cassation et du Conseil d’Etat. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’Etat avait renvoyé pour question préjudicielle l’affaire devant la CJCE (devenue CJUE) qui a relevé la non-conformité du texte avec le règlement européen sur la Sécurité Sociale.

En revanche, la conformité d’une norme française avec la constitution, relève du Conseil Constitutionnel, qui lui n’a pas à s’embarrasser avec la norme européenne puisque précisément, cette norme est censée être conforme à la constitution, sauf à vouloir contester une loi de ratification d’un traité européen par rapport aux règles constitutionnelles françaises (ce qui, à notre connaissance, n’a jamais été fait).

Chaque Haute Juridiction jalouse de ses prérogatives, impose sa propre jurisprudence, sans se poser la question des conséquences sur les citoyens. Et il faut admettre à cet égard, la combinaison de la décision du Conseil Constitutionnel avec l’arrêt « DE RUYER » parvient à un résultat plutôt malheureux, et même si le Conseil Constitutionnel en a jugé autrement, à une inégalité des citoyens devant la charges publique.

Eric DELFLY

VIVALDI-Avocats

 


[1]Pour une compréhension des incidences, voir art Chronos 12/03/2015, Prélèvements sociaux sur les revenus et gains immobiliers (et mobiliers) des non-résidents

[2] CE 27/07/2015, n° 334551

[3] Sur le site www.impot.gouv.fr

[4] CAA MARSEILLE du 25/03/2016, n° 13MA00537

[5] CE 15/03/2016 n° 401716

Partager cet article