Conformité à la Constitution de la privation de droits sociaux par exclusion d’un actionnaire dans les SAS.

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Saisi par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, conformément à l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil Constitutionnel est amené à se positionner sur la constitutionnalité, vis-à-vis du droit de propriété, de l’ajout, au cours de la vie sociale, d’une clause d’exclusion qui n’a pas obtenu l’accord unanime des associés.

Décision N°2022-1029 QPC du 9 décembre 2022

Au terme d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité, la question est posée aux Sages de déterminer si l’amendement des statuts par une clause d’exclusion au cours de la vie sociale n’était pas contraire à la Constitution pour violer le droit de propriété qu’elle protège.

I – Le contexte

I.1 – Le cas d’espèce initial

Un individu, à la fois salarié et associé d’une SAS démissionne.

Le contentieux trouve son origine assez rapidement par la problématique suivante :  Les statuts prévoient littéralement que la qualité d’associé est réservée aux salariés ou aux mandataires sociaux exclusivement.

Ils prévoient concrètement qu’en cas de perte de la qualité de salarié/mandataire, le Président de la SAS doit convoquer une assemblée générale extraordinaire afin qu’elle se prononce sur l’exclusion dudit associé.

Pour autant, l’article 11 des statuts prévoyait que l’associé dont l’exclusion était envisagée n’avait pas le droit de prendre part au vote de la résolution d’exclusion. Comme chacun sait, cette clause était illégale pour priver un associé de son droit de vote.

Cette clause était contraire à la jurisprudence qui prévoit, depuis un arrêt publié au bulletin en 2007[1], qu’un associé visé par la procédure d’exclusion peut prendre part au vote.

« Il résulte de l’article 1844, alinéa 1, du code civil que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et de voter et que les statuts ne peuvent déroger à ces dispositions que dans les cas prévus par la loi. Si, au termes de l’article L. 227-16 du code de commerce, les statuts d’une société par actions simplifiée peuvent, dans les conditions qu’ils déterminent, prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions, ce texte n’autorise pas les statuts, lorsqu’ils subordonnent cette mesure à une décision collective des associés, à priver l’associé dont l’exclusion est proposée de son droit de participer à cette décision et de voter sur la proposition ».

En réaction à l’argument soulevé par l’associé démissionnaire, l’assemblée générale décide de procéder à la modification des statuts.

Ainsi, la clause litigieuse  est rectifiée à la majorité requise par les statuts pour dorénavant prévoir que ce même associé prendrait part au vote…. Cette modification, semble-t-elle être en faveur de ce dernier, mais que nenni !

D’une clause statutaire illégale, puisque privant illégitimement un associé de son droit de vote, celle-ci est devenue légale et applicable, donc opposable à l’associé démissionnaire.

Et c’est là tout l’enjeu !

1.2 – La saisine du Conseil Constitutionnel

Au cours du procès, l’associé démissionnaire invoque une Question Prioritaire de Constitutionnalité, permettant à tous citoyens de contester la loi appliquée lorsqu’il estime qu’elle serait contraire aux droits et libertés garanties par notre Constitution.

Le Conseil Constitutionnel est donc saisi sur renvoi de la Chambre commerciale par un arrêt du 12 Octobre 2022 (N°22-40.013) [2].

II – La QPC

L’objet de la saisine repose sur deux articles du Code de commerce qui prévoient réciproquement :

  • Le premier alinéa de l’article L227-16 :

« Dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions. »

  • Le second alinéa de l’article L227-19 :

« Les clauses statutaires mentionnées aux articles L. 227-14 et L. 227-16 ne peuvent être adoptées ou modifiées que par une décision prise collectivement par les associés dans les conditions et formes prévues par les statuts. »

Parallèlement, les articles L227-13 et suivants du Code de commerce évoquent les clauses statutaires permettant, dans une SAS, de fixer les conditions d’acquisition et de cession des actions par les actionnaires. Eu égard aux deux dispositions susmentionnées, les statuts peuvent prévoir une telle clause d’exclusion dans les statuts constitutifs de la société, ou pire, être ajoutée/modifiée en cours de vie de la société, sans unanimité des actionnaires.

C’est ce qui est reproché par le demandeur la QPC.

Il considère que viole le droit de propriété garanti par la Constitution, le texte autorisant l’amendement des statuts par une clause d’exclusion à laquelle au moins un des associés n’a pas consenti.

Lorsqu’il s’est associé, la clause d’exclusion, certes existante dans les faits, n’était pas applicable, donc écartée. Et du jour au lendemain, l’exclusion devient une option tangible sans son consentement.  Il peut donc être contraint de vendre ses actions en application d’une clause statutaire adoptée à une majorité à laquelle il n’a pas participé.

D’où la question de la privation illégitime de propriété qui en résulte pour l’associé exclu, qui ne serait pas justifiée par une nécessité publique légalement constatée, et donc en méconnaissance de :

  • l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lequel prévoit :

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression »

  •  l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lequel prévoit :

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

Il était en effet soutenu par le requérant, que la privation du droit de propriété, consacré par ces textes ne pouvait être justifiée que par un motif d’intérêt général, et proportionné à l’objectif poursuivi.

Plusieurs éléments sont retenus par le Conseil Constitutionnel :

1. La volonté initiale du législateur : éviter les situations de blocage.

« Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 19 juillet 2019 que, en prévoyant que l’adoption ou la modification d’une clause d’exclusion puisse être décidée sans recueillir l’unanimité des associés, il a également entendu éviter les situations de blocage pouvant résulter de l’opposition de l’associé concerné à une telle clause. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général ».

Le législateur prévoyait justement de pouvoir « garantir la cohésion » des actionnaires « et assurer ainsi la poursuite de son activité ».

2. La procédure l’exclusion repose sur la vigilance des juges, véritable garde-fou.

La jurisprudence constante de la Cour de cassation révèle que la décision d’exclure un actionnaire ne peut être prise à la légère. Elle doit :

  • suivre une procédure prévue par les statuts,
  • reposer sur un motif, qui doit être stipulé dans les statuts, conforme à l’intérêt social et à l’ordre public,
  • et ne pas être abusive.

3. Le prix de rachat des actions de l’actionnaire exclu est encadré par les statuts, à défaut, par l’article 1843-4 du Code civil. 

Les sages relèvent que l’exclusion donne lieu au rachat des actions à un prix de cession fixé conformément au premier alinéa de l’article L227-18 du Code de commerce :

« Si les statuts ne précisent pas les modalités du prix de cession des actions lorsque la société met en œuvre une clause introduite en application des articles L. 227-14L. 227-16 et L. 227-17, ce prix est fixé par accord entre les parties ou, à défaut, déterminé dans les conditions prévues à l’article 1843-4 du code civil. »

En résumé, si les statuts ne prévoient pas de prix, et à défaut d’accord entre les parties, celui-ci est fixé par un expert désigné par un juge.

4. L’actionnaire a le droit de contester l’exclusion et même le prix de cession.

L’actionnaire exclu dispose enfin du droit de contester devant le juge, la décision prise par ses anciens co-actionnaires de l’exclure. La juridiction saisie aura alors pour mission de s’assurer « de la réalité et de la gravité du motif retenu ».  Il peut toujours en outre, contester le prix de cession de ses actions.

Pour toutes ces raisons, le Conseil Constitutionnel considèrent :

«  ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution. »

Par cette décision, qui marque les juristes en cette fin d’année 2022, le Conseil Constitutionnel déclare les articles L227-16 et L227-17 du Code de commerce, autorisant l’amendement des statuts par une clause d’exclusion, sans l’unanimité des actionnaires, comme valable et conforme à la Constitution.

Attention donc : Ce n’est pas parce que vos statuts ne comprennent pas de clause d’exclusion, qu’elle ne pourra pas être ajoutée à votre insu.

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[1] https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000017919115/

[2] https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-decisions/decision-n-2022-1029-qpc-du-9-decembre-2022-decision-de-renvoi-cass

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