Bail commercial et ouverture d’une liquidation sur résolution du plan de redressement : point de départ « d’attente » de trois mois de l’action en résiliation du bail commercial

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

La chambre commerciale dans son arrêt publié du 18 janvier 2023 juge au visa des articles L641-12, alinéa 1er, 3° et L622-14, 2° du Code de commerce que l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire sur résolution du plan de redressement, constitue une nouvelle procédure collective, de sorte que le point de départ du délai de trois mois au terme duquel le bailleur peut demander la résiliation ou fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, est la date du jugement prononçant la résolution du plan et ouvrant la liquidation judiciaire.

SOURCE : Cass. com, 18 janvier 2023, n°21-15576, FS – B   –   Articles L622-14 et L641-12 du Code de commerce

I –

Le plus simple pour les lecteurs de Chronos est de prendre connaissance des dispositions de l’article L641-12, alinéa 1er, 3°du Code de commerce au visa desquelles :

« Le bailleur peut également demander la résiliation judiciaire ou faire constater la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, dans les conditions prévues aux troisième à cinquième alinéas de l’article L622-14 ».

Ce renvoi fait au 2° du dernier alinéa de l’article L622-14 du Code de commerce signifie que le bailleur ne peut agir en résiliation du bail pour défaut de paiement de loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, qu’après l’expiration d’un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture :

« Sans préjudice de l’application du I et du II de l’article L. 622-13, la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et utilisés pour l’activité de l’entreprise intervient dans les conditions suivantes :

2° Lorsque le bailleur demande la résiliation ou fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, le bailleur ne pouvant agir qu’au terme d’un délai de trois mois à compter dudit jugement ».

La réalité est en fait beaucoup plus complexe qu’il n’y parait, le Code de commerce n’encadrant que l’hypothèse d’une liquidation judiciaire ab initio. Pour le reste, le Code reste taisant dans l’hypothèse d’une conversion du redressement en liquidation judiciaire, ou encore en cas de liquidation par suite de la résolution du plan de redressement.

En pareille matière, et à défaut de cadre normatif, il y a lieu de se tourner vers la jurisprudence.

Dans une décision publiée en date du 19 février 2013[1], la troisième chambre réglait le sort de la date à prendre en compte dans l’hypothèse d’une conversion d’une procédure de redressement en liquidation judiciaire, en précisant son fondement doctrinal dans ses titrages et résumés de la manière suivante :

« L’action en résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, prévue à l’article L. 641-12, 3°, du code de commerce, ne peut être engagée avant l’expiration d’un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture, le point de départ de ce délai étant soit la date du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire lorsque celle-ci est prononcée immédiatement, soit celle du jugement d’ouverture de sauvegarde ou de redressement judiciaire en cas de conversion de la procédure en liquidation judiciaire »

La Cour ne s’était en revanche jamais prononcée sur le point de départ du délai de trois mois, en cas d’une résolution du plan de redressement et d’ouverture concomitante de la liquidation judiciaire.

C’est désormais chose faite avec l’arrêt commenté du 18 janvier 2023.

II –

Le litige soumis à la censure de la Haute juridiction s’inscrit dans un schéma où un preneur commercial a bénéficié de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire le 20 octobre 2014, puis a bénéficié d’un plan de redressement le 15 juin 2016. Un jugement du 19 septembre 2019 a prononcé la résolution du plan de redressement et mis cette dernière en liquidation judiciaire.

Soucieux de préserver ses intérêts, le bailleur saisissait le juge-commissaire d’une requête en date du 23 octobre 2019 en constatation de la résiliation du bail pour non-paiement des loyers depuis la mise en liquidation judiciaire du débiteur, soit moins de trois mois avant l’expiration du délai procédural « d’attente ».

Sans surprise, le liquidateur opposait au bailleur le non-respect du délai de trois mois prévu par les articles L L641-12, alinéa 1er, 3° et L622-14, 2° du Code de commerce (Cf supra).

Débouté en cause d’appel et téméraire, le bailleur se pourvoyait en cassation.

Toute la particularité de l’espèce tient au fait que la liquidation judiciaire n’était pas prononcée ab initio (un seul jugement d’ouverture), ni par suite de la conversion de la procédure de redressement en liquidation judiciaire, mais par suite de la résolution du plan de redressement.

Devant la chambre commerciale, le bailleur reprenait le même raisonnement suivi par la troisième chambre civile dans son arrêt publié du 19 février 2013, en analysant le jugement qui ouvrait la liquidation sur résolution du plan de redressement comme un jugement de conversion. Le bailleur ajoutait également que le juge devait se placer à la date à laquelle il statuait, et non à la date de demande.

Réponse de la Cour au visa du dispositif littéralement repris :

« D’une part, l’action en résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, prévue à l’article L. 622-14, 2°, du code de commerce, auquel renvoie l’article L. 641-12, 3°, de ce code, ne peut être introduite avant l’expiration d’un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture. Lorsque la liquidation judiciaire est ouverte sur résolution du plan, il ne s’agit pas d’une conversion de la procédure de redressement en cours, mais d’une nouvelle procédure collective, de sorte que, dans cette hypothèse, le point de départ du délai de trois mois est la date du jugement prononçant la résolution du plan et ouvrant la liquidation judiciaire. Par conséquent, la cour d’appel a exactement retenu que, la SCI ayant saisi le juge-commissaire de sa demande de résiliation du bail par une requête du 23 octobre 2019, cependant que le jugement prononçant la résolution du plan de la société X et ouvrant sa liquidation judiciaire datait du 19 septembre 2019, cette requête, déposée moins de trois mois après ledit jugement était irrecevable.


D’autre part, pour apprécier si le bailleur qui agit en résiliation du bail a respecté le délai de trois mois prévu par les textes précités, le juge doit se placer non à la date à laquelle il statue, mais à la date à laquelle le bailleur l’a saisi de la demande de résiliation. Dès lors, la cour d’appel a retenu à bon droit que la recevabilité de l’action en résiliation devait s’apprécier au jour de la saisine du juge-commissaire, par la requête du 23 octobre 2019 ».

III –

La solution est logique pour CHRONOS :

  • D’une part, la décision semble conforme à la lettre de l’article L626-27, I, alinéa 4 du Code de commerce au visa duquel : « Le jugement qui prononce la résolution du plan met fin aux opérations et à la procédure lorsque celle-ci est toujours en cours. (…) ». Il s’infère que la liquidation est une nouvelle procédure ;
  • D’autre part, n’oublions pas que le bail commercial fait partie des contrats jugés indispensables au maintien de l’activité du locataire-débiteur. Le liquidateur dont la préoccupation majeure est la valorisation des actifs du débiteur, maximisera ses chances d’y parvenir si le droit au bail est cédé en même temps que le fonds de commerce, ce qui suppose que le débiteur soit le plus longtemps possible protégé par le délai procédural « d’attente » de trois mois, en deçà duquel toute action en résiliation de bail est impossible ;
  • Enfin, il est de jurisprudence constante que le respect du délai de trois mois doit être apprécié à la date de l’acte qui saisit la juridiction (en l’espèce la requête adressé au juge-commissaire)[2].

IV –

Une fois ce délai « d’attente » écoulé, et d’un point de vue procédural, il appartiendra au bailleur de piocher parmi l’arsenal juridique à sa disposition, entre la voie de la constatation de la résiliation judiciaire sur le fondement de la clause résolutoire insérée au bail devant le juge des référés, ou celle de la saisine du juge-commissaire, dont le coût avantages / inconvénients a déjà fait l’objet d’un article  CHRONOS[3]


[1] Cass. civ 3ème, 19 février 2013, n°12-13662, FS – B

[2] En ce sens, Cour d’appel de DIJON, 10 avril 2014, n°13/00777

[3] Article Chronos de Maître Eric Delfly du 26 mars 2022 – Bail commercial, Preneur en procédure collective, impayés de loyers, Résiliation –  https://vivaldi-chronos.com/bail-commercial-preneur-en-procedure-collective-impayes-de-loyers-resiliation-2/

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