Caractérisation de l’existence d’un contrat de travail entre un coursier et une plateforme de mise en relation entre des clients, des restaurateurs et des coursiers (TAKEEATEASY.fr)

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

SOURCE : Arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 24 juin 2020 n°19-13.476 (F-D) Cassation

 

Un coursier a été engagé à compter du 29 novembre 2015 en qualité de livreur à vélo par la société TAKE EAT EASY, plateforme de mise en relation par voie numérique entre des clients, des restaurateurs et des coursiers, selon un contrat de prestation de services.

 

La société TAKE EAT EASY a mis fin aux relations contractuelles le 26 juillet 2016 et a été placée en liquidation judiciaire par un arrêt du Tribunal de Commerce de Paris du 30 août 2016.

 

Contestant tout à la fois la nature de la relation contractuelle et les circonstances de sa rupture, le coursier a saisi le Conseil de Prud’hommes aux fins de requalification du contrat de prestation en un contrat de travail.

 

Il va être débouté par le Conseil de Prud’hommes de Paris qui va se déclarer incompétent au profit du Tribunal de Commerce de Paris.

 

Il forme donc un contredit, et cette affaire arrive par devant la Cour d’Appel de Paris, laquelle dans un arrêt du 14 décembre 2017, va confirmer la décision des premiers juges, considérant que le contrat de prestation de services passé entre le coursier et la société TAKE EAT EASY :

 

– Lui conférait une liberté totale de travailler ou non,

 

– Ce qui lui permettait sans avoir à en justifier, de choisir chaque semaine ses jours de travail et leur nombre sans être soumis à une quelconque durée du travail ni à un quelconque forfait horaire ou journalier,

 

– Mais aussi par voie de conséquence, à fixer seul ses périodes d’inactivité ou de congés et leurs durées.

 

La Cour d’Appel considère que le coursier ne rapporte pas la preuve qu’il fournissait des prestations dans des conditions le plaçant dans un lien de subordination à l’égard de la société, et spécialement dans un lien de subordination juridique permanent.

 

Elle en conclu donc que les parties n’étaient pas liées par un contrat de travail, de sorte qu’elle rejette le contredit du coursier.

 

En suite de cette décision, le coursier forme un pourvoi en cassation.

 

A l’appui de son pourvoi, il prétend que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de faits dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur, et que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

 

Ayant constaté :

 

– D’une part que l’application était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société TAKE EAT EASY de la position du livreur et de la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci,

 

– Et que d’autre part la société TAKE EAT EASY disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du livreur consistant en un système de bonus et de pénalités graduées pouvant aller jusqu’à l’éviction du coursier,

 

la Cour d’Appel, tout en énonçant que ce système était évocateur du pouvoir de sanction que peut mobiliser un employeur, exclut néanmoins tout lien de subordination entre le coursier et la société TAKE EAT EASY au motif :

 

  Que celui-ci avait la liberté de choisir ses horaires de travail en s’inscrivant ou pas sur la plateforme ou de ne pas travailler pendant une durée laissée à sa discrétion,

 

 Qu’il n’était soumis à aucune clause d’exclusivité ni à une clause de non concurrence,

 

En cela, prétend le coursier, la Cour d’appel viole les dispositions de l’article L8221-6 II du Code du Travail.

 

Bien lui en prit, puisque la Chambre Sociale va accueillir son argumentation.

 

Soulignant qu’il résulte des dispositions de l’article L8221-6 II du Code du Travail :

 

– Que les personnes physiques immatriculées au registre du Commerce et des Sociétés sont présumées ne pas être liées avec le donneur d’ordre par un contrat de travail,

 

– Que néanmoins l’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établi lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard du donneur d’ordre,

 

Elle rappelle que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de faits dans lesquelles était exercée l’activité des travailleurs, le lien de subordination étant caractérisé par l’existence d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné,

 

Pour dire que le coursier n’était pas lié par un contrat de travail à la société TAKE EAT EASY alors qu’il résultait de ses constatations l’existence d’un pouvoir de direction, de contrôle de l’exécution de la prestation au moyen de système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position et du comportement du coursier, ainsi qu’un pouvoir de sanction à l’égard de celui-ci, élément caractérisant un lien de subordination, la Cour d’Appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ces constatations a violé le texte susvisé.

 

Par suite, la Chambre Ssociale casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 14 décembre 2017 par la Cour d’Appel de Paris.

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