Bail dérogatoire et point de départ du délai de prescription de l’action en fixation du loyer

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : 3ème civ, 7 juillet 2016, n°15-19485, Publié au Bulletin

 

Il résulte de l’article L145-5 du Code de commerce que les parties peuvent déroger aux dispositions du statut des baux commerciaux à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans (deux ans jusqu’au 20 juin 2014).

 

Si à l’expiration de cette durée le preneur se maintien dans les lieux sans opposition du bailleur, un bail commercial soumis aux dispositions statutaires prend effet, dont le loyer est fixé, « à défaut d’accord entre les parties, à la valeur locative »[1].

 

En l’espèce, un preneur à bail dérogatoire, suivant convention du 1er aout 2006, a sollicité en septembre 2010 le bénéfice du statut des baux commerciaux à compter du 1er aout 2008, date à laquelle il avait poursuivi l’exploitation de son fonds de commerce dans le cadre de plusieurs baux dérogatoires successifs en violation des dispositions de l’article L145-5 susvisé.

 

Le lecteur attentif relèvera que la demande est formée plus de deux ans à compter de la date d’effet du bail commercial, mais se rappellera que « la demande tendant à faire constater l’existence d’un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l’article L. 145-5 du code de commerce, n’est pas soumise à la prescription biennale »[2] de l’article L145-60 du Code de commerce, aux termes duquel toutes les actions exercées en vertu du statut des baux commerciaux, se prescrivent par deux ans (contrairement notamment à l’action tendant à faire requalifier une convention en bail commercial[3]).

 

Le bailleur a donc simplement pris acte de la demande, et sollicité la fixation du loyer à la valeur locative, puisque le loyer des baux dérogatoires est généralement fixé à un montant inférieur au prix de marché.

 

Toutefois, si la prescription biennale n’était pas opposable au preneur… l’action du bailleur relevait de l’application des dispositions statutaires, soumise en tant que tel aux dispositions de l’article L145-60 ! Le preneur opposait ainsi à la demande du bailleur, formé plus de deux ans à compter de la date d’effet du bail commercial, la prescription…

 

Le bailleur avait dénoncé cette situation et avait axée son argumentation sur le report du point de départ de la prescription à la date d’expiration du second bail dérogatoire, rejetée par la Cour d’appel de Paris.

 

Devant la Cour de cassation, le bailleur plaidait l’absence de disposition statutaire régissant la fixation du loyer initial d’un bail, de sorte que l’action ne pouvait être prescrite, et subsidiairement, un report du point de départ de la prescription en raison d’un accord des parties intervenu sur le montant du loyer et enfin, une renonciation du preneur au bénéfice des dispositions statutaires en signant le nouveau bail dérogatoire du 1er aout 2008.

 

Le moyen est rejeté en sa première branche, la Haute juridiction rappelant que l’action en fixation du loyer du bail commercial né à l’issue du maintien dans les lieux du preneur à bail dérogatoire est soumise à la prescription biennale.

 

La Cour de cassation, qui ne se prononcera pas sur les autres branches du moyen, casse néanmoins l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris à la faveur d’un moyen relevé d’office concernant l’application des dispositions de l’article 2224 du Code civil,

 

« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer »

 

lesquelles, à lire l’arrêt commenté, avaient pourtant été évoquées lors des débats devant la Cour d’appel, sans que le bailleur ne s’empare de l’argument dans son dispositif ni dans son pourvoi !

 

En effet, pour la troisième chambre de la Cour de cassation,

 

« (…) la demande en fixation du loyer du bail commercial né par application de l’article L. 145-5 du code de commerce suppose qu’ait été demandée, par l’une ou l’autre des parties, l’application du statut des baux commerciaux ; que, dès lors, c’est à cette date que les parties ont connaissance des faits leur permettant d’exercer l’action en fixation du loyer ; » Qu’il s’ensuit que le délai de prescription de l’action en fixation du loyer d’un tel bail court, non pas de la date à laquelle naît le bail commercial, mais de la date à laquelle la demande d’application du statut est formée par l’une ou l’autre des parties, le montant du loyer étant fixé à la valeur locative à compter du jour de cette demande ; »

 

(…) Qu’en déclarant cette action prescrite, après avoir retenu que le point de départ du délai de prescription se situait au jour de la naissance du bail commercial, la cour d’appel a violé les textes susvisés  ».

 

La demande du bailleur, qui ne pouvait être formée avant que le preneur ne sollicite le bénéfice des dispositions statutaires, n’était donc pas prescrite.

 

La décision, en ce qu’elle s’abstient de sanctionner un bailleur qui avait sans doute simplement ignoré la loi, malgré l’adage, est salutaire.

 

Sylvain VERBRUGHE

Vivaldi-Avocats



[1] 3ème civ, 14 décembre 2005, n°05-12.587, Publié au bulletin

[2] 3ème civ, 13 mai 2015, n°13-23.321

[3] 3ème civ, 3 décembre 2015, 14-19.146, Publié au bulletin,

 

 

 

 

 

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