Bail commercial, résidences de tourisme et exigibilité des loyers « Covid-19 »: La Cour confirme et clarifie par la même occasion sa position

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

Dans le droit fil des arrêts de principe rendus par la troisième chambre civile le 30 juin 2022, la Cour de cassation se prononce en faveur de l’exigibilité des loyers « Covid-19 » à l’égard des bailleurs de résidences de tourisme tout en clarifiant par la même occasion, sa position.

SOURCE : Cass. civ 3ème, 23 novembre 2022, n°22-12753, FS – B

Après avoir « douché » les dernier espoirs des locataires commerciaux par trois arrêts de principe rendus le 30 juin dernier, en écartant d’un revers de marche tour à tour le manquement du bailleur à son obligation de délivrance, la perte partielle de la chose louée, l’exception d’inexécution et la notion de force majeure, la troisième chambre civile vient de confirmer dans son arrêt publié du 23 novembre 2022, sa position à l’égard des résidences de tourisme.

En matière de résidences de services, la situation pourrait présenter comme suit : un investisseur particulier, est approché par un conseil en gestion de patrimoine pour un investissement clé en main, portant sur l’acquisition d’une ou plusieurs chambres dans une résidence de services dans laquelle un preneur unique a d’ores et déjà accepté de prendre à bail la résidence pour le tout. Au final, et bien souvent les déconvenues sont nombreuses[1].

Face à des bailleurs éclatés, parfois divisés, le preneur unique se trouve en position de force. Au cas qui nous intéresse, nous pouvons relever la suspension des paiements des loyers « Covid-19 », alors même que dans la grande majorité des cas, la plupart des résidences de services n’ont pas fermé, ces dernières s’abstenant de payer les loyers correspondant aux périodes de fermetures administratives arguant un taux de remplissage relativement modéré par rapport à l’activité de la résidence hors période de pandémie.

Parmi les faits relatés dans l’arrêt commenté, plusieurs bailleurs personnes physiques ont donné à bail à un locataire unique, la société « Réside étude apparthôtels », des appartements et parkings situés au sein d’une même résidence de tourisme. La société locataire s’est abstenue unilatéralement en cours de bail, de s’acquitter des loyers et charges provisionnelles aux motifs (i) de la cessation de son activité consécutive aux restrictions gouvernementales puis (ii) d’un taux d’occupation en « forte diminution ». Les bailleurs ont assigné la société en paiement devant le juge des référés.

En cause d’appel, la société objecte au soutien de sa demande tendant à la suspension (voire l’annulation) du paiement des loyers « Covid-19 », que les baux commerciaux litigieux contenaient une clause de suspension du paiement des loyers, selon laquelle :

« Dans le cas où la non sous-location du bien résulterait soit de la survenance de circonstances exceptionnelles et graves (telles qu’incendie de l’immeuble, etc) affectant le bien et ne permettant pas une occupation effective et normale, après la date de livraison, le loyer, (…), ne sera pas payé jusqu’au mois suivant la fin de trouble de jouissance ».

A tort, selon la Cour d’appel, qui retient que les circonstances exceptionnelles ainsi visées devaient être intrinsèques au bien lui-même, c’est-à-dire à l’immeuble ou au bâtiment, entendu stricto censu.

La Cour de cassation dans un souci de construction doctrinale rejette le pourvoi du locataire, aux motifs que :

« D’une part, que la clause précise de suspension du loyer prévue au bail ne pouvait recevoir application que dans les cas où le bien était indisponible soit par le fait ou la faute du bailleur, soit en raison de désordres de nature décennale ou de la survenance de circonstances exceptionnelles affectant le bien loué lui-même, d’autre part, que la locataire ne caractérisait pas en quoi les mesures prises pendant la crise sanitaire constituaient une circonstance affectant le bien, la cour d’appel, qui n’a pas interprété le contrat, n’a pu qu’en déduire que l’obligation de payer le loyer n’était pas sérieusement contestable ».

Lu en filigrane et de façon transverse avec les arrêts de principe du 30 juin 2022, l’impossibilité d’exploiter du fait de l’état d’urgence doit être liée à l’immeuble ou au bâtiment, et non à l’activité qui y est exploitée. Dans ces conditions, les mesures prises pendant la crise sanitaire sont « sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué », et ne peuvent être « assimilées à la perte de la chose louée, au sens de l’article 1722 du Code civil »[2].

L’argument tiré de la clause contractuelle de suspension (ou d’annulation) du paiement des loyers « Covid-19 » s’ajoute ainsi aux arguments précédemment opposés par les preneurs commerciaux, qui ont fait long feu devant la Haute juridiction : manquement à l’obligation de délivrance du bailleur, perte partielle de la chose louée, exception d’inexécution et force majeure.


[1] Chronos Vivaldi – Maître Eric DELFLY – article du 27 juillet 2022 – Lien vers l’article : https://vivaldi-chronos.com/quand-le-preneur-prend-le-pouvoir-sur-le-bailleur-regard-sur-les-ehpad-et-les-residence-de-services/

[2] Chronos Vivaldi – Alexandre BOULICAUT – article du 1er juillet 2022 – Lien vers l’article https://vivaldi-chronos.com/bail-commercial-etat-durgence-sanitaire-et-exigibilite-des-loyers-covid-dura-lex-sed-lex/

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