Quand le preneur prend le pouvoir sur le bailleur : regard sur les EHPAD et les résidences de services

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

La situation est toujours la même : un investisseur, particulier, est sollicité par un conseil en gestion de patrimoine (CGP) pour un investissement clé en main, portant sur l’acquisition d’une ou plusieurs chambres dans une résidence de services dans laquelle un preneur a d’ores et déjà accepté de prendre à bail la résidence pour le…

Source : Tribunal Judiciaire de VERSAILLES – Ordonnance JME du 02 juin 2022 – RG n° 20/06631

I –

Le cas soumis à la Juridiction Versaillaise est un des nombreux avatars que subissent les investisseurs, personnes physiques, qui, cédant au chant des sirènes des conseillers en gestion de patrimoine, consentent à acquérir, la plupart du temps en VEFA, une ou plusieurs chambres dans un ensemble immobilier à destination de résidence de services.

Il faut dire que l’offre est alléchante, à plusieurs titres :

  • En premier lieu, le CGP met en avant un avantage fiscal, la plupart du temps issu du dispositif Censi Bouvard[1], qui permet à l’investisseur de bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu  à l’acquisition pour des établissements proposant la résidence avec services pour personnes âgées ou handicapées, pour étudiants ou délivrant des soins et un  hébergement longue durée pour des personnes n’ayant pas leur autonomie de vie et dont l’état nécessite une surveillance médicale constante et des traitements d’entretien ;
  • L’investisseur peut récupérer également la TVA de 20 % sur les frais d’acquisition lorsque la résidence est louée à un exploitant unique (ce qui est toujours le cas) ;
  • Le CGP, à titre d’argument, présente un bail commercial signé avec un preneur qui non seulement s’engage à prendre à bail la totalité des lots privatifs, mais également accepte de gérer, tant pour les parties privatives que pour les parties communes à usage privatif, l’entretien, la vétusté, et la mise aux normes sanitaires liées à la spécificité de la résidence de services. En bref, la promesse (i) que l’investisseur dispose d’une rente de situation pendant toute la période d’exécution du bail commercial et (ii) grâce aux engagements portant sur la vétusté, l’entretien et la mise à jour aux normes sanitaires, espère légitimement, qu’au terme du bail et en l’absence de renouvellement, celui-ci pourra, de nouveau, avec les autres copropriétaires bailleurs, donner un bail à un autre preneur.
  • Sur la base de cette démonstration, le CGP fournit une simulation de rentabilité  optimisée, tenant compte, bien entendu,  de l’impact de la rente de loyers et de l’avantage fiscal.

En pratique, ce scénario, idyllique en apparence, est de plus en plus la source de déconvenues :

  • Les mises aux normes et l’entretien sont souvent aléatoires, en tout cas limités au strict nécessaire et certainement pas au niveau de l’engagement du bail ;
  • Face à des bailleurs éclatés, parfois divisés, le preneur, unique, fait la loi. On peut ainsi relever la suspension des paiements des loyers en période de COVID, alors même que la plupart des résidences de services n’ont pas fermé, de vraies difficultés sur l’entretien des parties communes, voire l’abandon pur et simple de la résidence de services en cours de bail, tout en continuant à payer les loyers, sans entretenir la résidence, de sorte que celle-ci se délabre à vue d’œil.

L’Ordonnance rendue par le Juge de la Mise en Etat près le Tribunal Judiciaire de VERSAILLES, portait sur un litige qui opposait un investisseur à une des filiales du Groupe DOMUSVI, un exemple topique de ce que peuvent endurer les preneurs. A la base, GDP VENDOME (DOMUSVI) lance une opération de promotion immobilière dans le ressort du Tribunal Judiciaire de VERSAILLES qui consiste à construire un EHPAD et à vendre les chambres à divers investisseurs sous la promesse que l’EHPAD serait géré par une de ses filiales, la Résidence Saint Germain. Saint Germain a, au titre du bail commercial, accepté un certain nombre d’obligations, et notamment celle de maintenir la résidence en bon état d’entretien, mais également la mettre à jour des normes en matière d’exploitation d’EHPAD, ce qu’elle fera un temps, jusqu’à ce qu’elle décide d’abandonner purement et simplement, en 2017, la résidence en transférant l’agrément obtenu sur deux de ses EHPAD, dont celui de la Résidence Saint Germain dans un autre immeuble. Le bailleur continuera de payer les loyers mais cessera d’entretenir tant les parties privatives prises à bail que les parties communes. Le scénario catastrophe était déjà écrit aux termes du dernier bail en cours puisque, dans l’état où l’EHPAD se trouvait, il était insusceptible d’intéresser un nouvel investisseur, à charge pour les copropriétaires de trouver un promoteur immobilier qui ne s’intéresse qu’au terrain. En bref, la question n’était pas de savoir si les investisseurs allaient perdre de l’argent sur l’investissement, mais combien allaient-ils perdre ?

Il est bien entendu évident que cette difficulté est totalement imputable au preneur, Mais les bailleurs, au nombre de 54, rencontrent (et c’est toujours le cas) les plus grandes difficultés pour (i) coordonner leur action et (ii) la financer. En effet :

  • Si le préjudice collectif est très important, l’action menée individuellement par chaque bailleur, a un coût Avocat qui doit nécessairement être comparé avec le préjudice subi ;
  • Le Syndicat des Copropriétaires, exsangue financièrement, est incapable d’initier la moindre procédure ;
  • Enfin, le nombre important de bailleurs conduit à des discordes, c’est-à-dire à la création de plusieurs groupes distincts qui vont, avec l’aide d’un Avocat de leur choix, mettre en place une procédure qui, quelquefois, percute celle d’un ou de deux autres groupes d’investisseurs.

Et c’est donc très souvent le scénario constaté : le bailleur crée le problème, alimente la division et laisse se fatiguer les bailleurs jusqu’à, ensuite, leur envoyer un promoteur immobilier qui rachètera à la casse leurs lots.

II –

Dans l’Ordonnance commentée, l’un des bailleurs a décidé de suivre son chemin en tentant d’obtenir la condamnation du preneur à (i) de nouveau occuper les locaux abandonnés, (ii) entretenir sa partie privative, (iii) entretenir les parties communes. Il avait saisi, pour cela, mais sans succès, en première instance comme en appel, la Juridiction des Référés qui après hésitation s’était déclarée incompétente pour trancher le litige au motif essentiel que le contenu du bail devait être interprété, notamment sur l’obligation d’exploitation de l’EHPAD. Le bailleur ne désemparera pas, soumettra la même problématique devant les Juges du fond (son bail était toujours en cours). Après avoir régulièrement mis en cause le Syndicat des Copropriétaires, sollicitera la condamnation au fond du preneur, à exploiter et entretenir les locaux.

A tort, tente de soutenir le preneur qui objecte que le bail ne porte que sur une chambre sur laquelle le débat peut se focaliser, à l’exception du défaut d’entretien des parties communes qui, pour l’essentiel, constituent les services proposés pour un EHPAD. Une chambre entretenue et mise aux normes n’est cependant que de peu d’intérêt si les parties communes ne le sont pas et si l’exploitation ne poursuit pas.

Pour le preneur, seul le Syndicat des Copropriétaires a qualité à agir pour solliciter l’entretien des parties communes privatives. Toute la difficulté est que les parties communes privatives n’ont jamais été données à bail par le Syndicat des Copropriétaires, mais que leur utilisation est consentie par l’ensemble des bailleurs qui, donnant à bail leur lot privatif, autorise également le preneur à exploiter les parties communes.

Le schéma est complexe en ce que le preneur ne peut pas consentir un bail portant sur toute ou partie des parties communes privatives. Mais la même observation peut être répétée en ce qui concerne le Syndicat des Copropriétaires qui n’a jamais signé, dans cette affaire, la moindre convention avec la Résidence Saint Germain. En résumé, la Résidence Saint Germain occupait les parties communes sur la base d’une autorisation consentie par les bailleurs  au titre de leur lot, avait pris, à cet égard, des engagements d’entretenir et de mettre aux normes  les parties  communes privatives, mais à  lire le preneur, cet engagement pourtant pris dans le bail commercial, n’était pas susceptible d’être opposé par le bailleur au preneur, ce droit étant, toujours selon le preneur, réservé au Syndicat des Copropriétaires qui n’était pas en lien contractuel avec le  preneur et surtout, qui n’avait même pas les moyens de se payer un Avocat.

Sur la base de ce raisonnement, le preneur va saisir le Juge de la Mise en Etat et demander à ce qu’il soit jugé l’irrecevabilité des demandes d’entretien et de mise aux normes des parties communes par le bailleur au motif d’un défaut de qualité à agir

III –

Pour déclarer recevable la demande du bailleur à agir sur les parties communes, l’Ordonnance commentée développe des moyens qui, non seulement, sont d’une logique incontestable au regard du droit positif, mais peuvent être répliquées à l’infini au bénéfice de tout bailleur victime de ce genre de situation. En voici des extraits :

« En matière de copropriété, si selon l’article 15 de la loi du 10 juillet 1965, le Syndicat a qualité pour agir en justice, tant en demandant qu’en défendant, même contre certains copropriétaires, qui peut notamment agir conjointement ou non avec un ou plusieurs de ces derniers, en vue de la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble, tout copropriétaire peut néanmoins exercer seul les actions concernant la propriété ou la jouissance de son lot, à charge d’en informer le syndic.

Chaque membre du Syndicat des Copropriétaires est recevable dans son action individuelle, motivée par une atteinte portée aux parties communes dès lors que cette atteinte s’accompagne d’une entrave dans la jouissance ou la propriété de ces parties privatives.

En toute hypothèse, l’intérêt à agir du copropriétaire demandeur n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bienfondé de l’action. En effet, l’existence du droit invoqué n’est pas une condition à la recevabilité de la demande, mais de son succès.

La spécificité de la Résidence Saint Germain résidait dans son exploitation par la Société Résidence Saint Germain comme EHPAD. Ainsi, les lots donnés à bail correspondant aux chambres en location formaient, s’agissant de l’organisation des bâtiments et de l’activité exercée, un lot indivisible avec les parties communes. En effet, chacun des résidents avait vocation à jouir desdites parties communes. Dès lors, toute atteinte portée aux parties communes pouvait s’accompagner d’une entrave à la jouissance et/ou à la propriété des parties privatives (…) ».

Ce raisonnement est à double détente :

  • La première est qu’elle permettra désormais au Juge des Référés, sur cette base, d’agir en injonction sous astreinte pour occuper ou entretenir les locaux quand cela est possible, c’est-à-dire qu’il n’y a pas lieu ài interprétation des contrats ;
  • La seconde est de permettre au bailleur victime de tel comportement, de réclamer le remboursement d’un préjudice lié au défaut d’entretien ou d’exploitation de leur partie privative, mais également des parties communes.

Eric DELFLY

VIVALDI-AVOCATS


[1] Prévu à l’article 199 sexvicies du CGI

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