La Cour de cassation juge dans un arrêt inédit en date du 6 juillet 2022, que la mise en place de démarches, par un tiers même distinct du preneur évincé pour permettre son relogement, suffisent à caractériser un processus irréversible de départ rendant nul le droit de repentir du bailleur, pourvu qu’elles soient menées dans l’intérêt du preneur.
SOURCE : Cass. civ 3ème, 6 juillet 2022, n°21-12024, Inédit
I – Conditions liées au droit de repentir du propriétaire bailleur
Le bailleur qui a refusé le renouvellement du bail (refus d’une demande de renouvellement ou signification d’un congé sans offre de renouvellement avec paiement d’une indemnité d’éviction) a la possibilité de revenir sur sa décision et d’offrir le renouvellement : c’est l’exercice du droit de repentir, encadré à l’article L145-58 du Code de commerce, repris littéralement comme suit :
Le propriétaire peut, jusqu’à l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision est passée en force de chose jugée, se soustraire au paiement de l’indemnité, à charge par lui de supporter les frais de l’instance et de consentir au renouvellement du bail dont les conditions, en cas de désaccord, sont fixées conformément aux dispositions réglementaires prises à cet effet. Ce droit ne peut être exercé qu’autant que le locataire est encore dans les lieux et n’a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation.
Ce droit utilisé en pratique à des fins stratégiques, permet notamment au bailleur après fixation de l’indemnité d’éviction, d’offrir le renouvellement et d’échapper ainsi à son paiement. Attention toutefois à ne pas tarder à exercer ce droit !
En effet, les lecteurs du présent CHRONOS n’auront pas manqué de relever que l’exercice de ce droit est strictement encadré à plus d’un titre :
Tout d’abord, le propriétaire bailleur peut exercer son droit de repentir « jusqu’à l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision [en fixation de l’indemnité d’éviction] est passée en force de chose jugée ». Dans le jargon juridique, une décision acquiert force de chose jugée dès qu’elle n’est plus susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution[1]. C’est le cas lorsqu’un jugement est rendu en premier et dernier ressort, c’est-à-dire insusceptible d’appel, ou s’il est susceptible d’un tel recours, à l’expiration du délai du recours si celui-ci n’est pas exercé. Le caractère exécutoire de droit des décisions de première instance[2], indépendamment de l’ouverture et de l’exercice des voies de recours tend à vider le principe de l’effet suspensif de sa substance. Ainsi, dans l’immense majorité des cas, tout jugement acquiert force de chose jugé dès qu’il est rendu puisque dorénavant tous jugement sont, sauf exceptions, assortis de l’exécution provisoire de droit. Dans le petit nombre de situations où le jugement n’est pas assorti de l’exécution provisoire de droit, et où l’appel ont un effet suspensif, le jugement a alors force de chose jugée à l’expiration du délai d’appel ou en cas d’appel dès que l’arrêt est rendu, le pourvoi en cassation étant dépourvu d’effet suspensif.
En second lieu, le droit de repentir « ne peut être exercé qu’autant que le locataire est encore dans les lieux et n’a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation ».
Ainsi selon le droit prétorien, le locataire est considéré comme étant encore dans les lieux tant qu’il n’y pas eu libération effective et complète des locaux et remise des clés au bailleur, ces deux conditions étant cumulatives[3].
La condition liée à l’achat d’ « un autre immeuble destiné à sa réinstallation » a été retenue par la troisième chambre civile, lorsque le locataire a pris l’initiative de faire construire un immeuble pour y transférer son activité[4], ou encore lorsqu’il a acheté un terrain à bâtir en vue d’y transférer le fonds[5], le maintien du locataire dans les lieux loués étant indifférent[6].
Ces deux conditions sont en fait indissociables, les juges s’attachant à apprécier la libération des lieux loués pour caractériser l’irrecevabilité du droit de repentir du bailleur. Ainsi, le locataire qui aurait engagé un processus irréversible de départ des lieux ne serait plus considéré comme étant dans les lieux. La Haute juridiction a récemment jugé que l’engagement d’un processus irréversible de départ des lieux loués par le preneur, suffisait à faire obstacle à l’exercice du droit de repentir par le bailleur, sans qu’il soit nécessaire que ce dernier ait eu connaissance de ce processus[7].
II – L’irrecevabilité du droit de repentir du bailleur en cas de projet immobilier mis en place dans l’intérêt du preneur évincé
Dans l’arrêt objet du présent Chronos, la troisième chambre civile a jugé que le processus irréversible faisant échec au droit de repentir du bailleur était caractérisé, lorsque le locataire au profit duquel un projet immobilier mené par la gérante de la société preneuse à bail et l’un de ses associés ayant pour but de permettre le relogement du locataire évincé, a été initié, peu important que les démarches aient été effectuées par une personne morale distincte, à la condition que celles-ci aient été menées dans l’intérêt du locataire.
Destinataire d’un congé avec refus de renouvellement du bail commercial, et dans le but de permettre à la société preneuse à bail évincée de poursuivre son activité d’enseignement, la gérante et un associé ont créé une SCI qui a acquis un terrain à bâtir et obtenu un prêt en vue d’édifier une construction. Ces démarches effectuées par une personne morale distincte de la société titulaire du bail, menées dans l’intérêt du locataire en vue de permettre son relogement, ont été suffisantes pour la Cour pour caractériser le processus irréversible de départ, rendant ainsi nul le droit de repentir du bailleur.
[1] Cf article 500 du Code de procédure civile
[2] Cf Décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, codifié à l’article 514 du Code de procédure civile
[3] En ce sens, Cass. civ 3ème, 27 novembre 2002, n°1720, FS – B ou encore 29 novembre 2000, n°1628, Inédit
[4] En ce sens, Cass. civ 3ème, 26 janvier 1994, n°91-20011, FS – B
[5] En ce sens, Cass. civ 3, 24 avril 1970, n°68-13653, FS -B
[6] En ce sens, Cass. civ 3ème, 1re juin 1999, n°97-22008, Inédit
[7] En ce sens, Cass. civ 3ème, 15 décembre 2021, n°22-11634, Inédit