De la responsabilité de la société mère étrangère en matière d’insolvabilité

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

L’action en responsabilité contre un actionnaire étranger, initiée par les créanciers et/ou les organes de la procédure collective de sa filiale en procédure collective , nécessite de s’intéresser préalablement à la compétence juridictionnelle et la loi applicable au litige. La CJUE, dans son arrêt commenté, fait du lieu d’établissement de la filiale, le critère de rattachement pour déterminer tant le juge du for que la loi applicable.

Source :

I –

L’examen des faits dans le détail importe peu, sauf à préciser qu’une société « grand-mère » s’est historiquement posée en actionnaire de référence, de sa « petite fille » implantée dans un autre état. Son soutien est généralement accordé à l’aide de prêts comportant des clauses d’attribution à la juridiction et de droit applicable du siège de la grand-mère.

La grand-mère va cesser son soutien à sa petite fille et ainsi provoquer l’ouverture d’une procédure collective de cette dernière.

Les organes de la procédure (en droit français, il s’agirait du liquidateur) ont saisi le Tribunal qui avait ouvert la procédure collective de la petite fille. Les juges vont alors, dans un premier temps, estimer être compétents sur le fondement du règlement insolvabilité[1] en jugeant un peu rapidement que l’action de l’organe de la procédure était rattachable de manière annexe, à la procédure collective[2] puis, par prudence, se sont demandés s’il ne vaudrait pas mieux saisir pour avis la Cour de Justice de l’Union Européenne, notamment cette fois, sur le fondement du règlement Bruxelles I Bis qui devait être mis en œuvre sur la base du règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations extracontractuelles.

Dans son arrêt commenté, la CJUE répond de manière claire et non équivoque en considérant que la compétence juridictionnelle comme la loi applicable est celle du lieu d’établissement de la petite fille.

II –

Dès lors que le règlement insolvabilité devait être exclu à propos d’une action en responsabilité nécessairement extracontractuelle, c’est-à-dire qu’elle ne s’inscrivait pas dans des relations de nature contractuelles, civiles ou commerciales, la CJUE devait déterminer… le fait dommageable et plus encore le lieu du fait dommageable toujours facilement identifiable, lors d’une collision entre plusieurs véhicules de nationalité étrangère, mais plus compliqué à aborder s’agissant de l’interruption fautive, ou pas, du soutien de la grand-mère à sa petite fille.

Pour autant, la Cour considère que la compétence juridictionnelle et la loi applicable sont celles du lieu du siège de la petite fille.

Explications :

            II – 1. La compétence juridictionnelle

La CJUE (ci-après « la Cour ») retient l’application du règlement Bruxelles I Bis, concernant la compétence judiciaire. S’agissant d’une action en responsabilité extracontractuelle, la Cour écarte naturellement les clauses attributives de compétence juridictionnelle et de loi, qui ne concernent que la relation entre la grand-mère et la petite fille, mais n’est pas opposable aux tiers, pour se pencher sur l’article 7.2 du règlement Bruxelles I Bis (ci-après, « le Règlement »), selon lequel en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un état membre peut être attraite dans un autre état membre que celui du domicile du défendeur, à savoir devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

            II – 2. Le juge du for

Se référant à une précédente décision rendue en 2013[3], la Cour juge que l’action introduite par les organes de la procédure de la petite fille dont les dettes sont devenues irrecouvrables est fondé sur la violation d’un devoir de diligence.

Sans rechercher véritablement le lieu du fait dommageable, la Cour justifie la compétence du juge dans le ressort duquel était implantée la petite fille au double motif que les informations sur la situation financière de la société insolvable sont disponibles là où elle était établie et que ce for était… « hautement prévisible »[4].

II – 3. La loi du for

Pour le coup, la détermination de la loi applicable aux actions en responsabilité extracontractuelle relève en principe du règlement Rome II, cependant, ce règlement éclipse de son champ d’application « les obligations non contractuelles découlant du droit des sociétés »[5]. Là encore, la Cour, qui devait analyser l’exclusion du règlement Rome II, lié au droit des sociétés, estime que cette exclusion couvre exclusivement les aspects organiques des sociétés. La Cour invite ensuite le juge national à rechercher au cas par cas « si l’obligation non contractuelle des associés existe pour des raisons propres au droit des sociétés, ou bien est étrangère à celui-ci », et après avoir rappelé ce principe, la Cour indique au juge national que celui-ci devra rechercher si le devoir de diligence auquel la société grand-mère aurait manqué, en ne réitérant pas son soutien, découle de la relation entre l’organe et la société ou un devoir général de diligence posé par la réglementation du lieu du siège de la petite fille.

Ce ne serait que dans le second cas que le règlement Rome II s’appliquerait. Il est fort probable que la loi néerlandaise à laquelle doit répondre la petite fille, impose un devoir de vigilance, de sorte qu’au regard des considérant, les organes de la procédure, étaient légitimes à saisir la juridiction du siège social de la petite fille tout en invoquant la loi de leur pays.

            III – Des éléments de complexité non réglés par la CJUE

Globalement, même si la solution qui en ressort apparaît à première lecture simple, la Cour ne clarifie pas franchement le débat, et livre une solution difficile à répéter.

En effet :

  • Pour l’application du juge du for, la décision ne juge pas utile de localiser le fait dommageable, en s’affranchissant de la distinction entre le fait générateur et le dommage subi au profit d’une présomption prétorienne et une prévisibilité du risque liés à la publication des informations de la situation financière de la société insolvable.

Si le lieu du fait dommageable, en ce qui concerne l’action en responsabilité des organes de la procédure, semble bien être le lieu du siège de la société ; la réponse n’est pas transposable aux actions individuelles ou collectives des créanciers qui se sont associés aux organes de la procédure, qui subissent les dommages chez eux et donc un possible éclatement des procédures entre l’action principale des organes et celle indirecte ou annexe en réparation du préjudice indirectement subi par les créanciers de la petite fille.

  • Une autre difficulté tient au fait que la Cour ne justifie pas véritablement la raison pour laquelle l’attribution de loi et de compétence juridictionnelle dans la convention de soutien de la grand-mère à la petite fille devait être écartée. Certes la nature extracontractuelle de la responsabilité recherchée permettait d’écarter cette convention mais il aurait pu être tout aussi bien opposé par la grand-mère que l’interruption de la convention pouvait s’analyser de la même manière avec la même force, dans le cadre d’une responsabilité contractuelle qui, pour le coup et au regard de la convention débattue, peut donner compétence au juge et à la loi de l’état de la grand-mère.

Rien n’est cependant perdu puisque le projet de Code français de droit international privé remis au garde des sceaux le 31 mars 2022, organise en son article 87, l’application de la lex societatis qui, en matière de responsabilité, comprend expressément celle des organes à l’égard des tiers et celle de la société à l’égard de ses associés et de ses organes. Une partie du délicat problème compétences devrait être réglé à l’exception toutefois de celui de la responsabilité de la société à l’égard des tiers pour lequel la Cour de Cassation devra, le cas échéant, en invitant la CJUE à se prononcer, fixer cette jurisprudence au regard du règlement Rome II.


[1] Règlement UE 2015/848 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité

[2] A contrario de la jurisprudence de la CJUE : 1ere Chambre, 6 février 2019 n°C-535/17

[3] CJUE, 18 juillet 2013 n°C-14 147 12

[4] La présomption de prévisibilité qui n’est pas nouvelle dans certaines décisions de la CJUE, reste toutefois un mystère qui ne va pas s’éclaircir par la lecture de cette décision.

[5] PE Cons CE Règlement n°864/2007 11 juillet 2007, article 1 – Paragraphe 2D

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