SOURCE : Cass. civ 1ère, 2 février 2021, n°20-17912, Inédit
I –
Bien connue des étudiants fréquentant les bancs des Facultés de Droit, la dichotomie traditionnelle droit public / droit privé constitue l’un des fondements de la dualité des deux ordres de juridictions, administratives et judiciaires.
Conséquemment à cette dualité, la juridiction administrative n’est pas compétente pour se prononcer sur la validité d’un contrat de droit privé. Les lecteurs habitués de CHRONOS sont ici renvoyés au cours du Président ODENT[1] :
« Les contrats passés par les personnes publiques peuvent être soit des contrats administratifs régis par le droit public et ressortissant en cas de litige à la compétence de la juridiction administrative, soit des contrats de droit privé régis par ce droit et dont le contentieux est judiciaire ».
Si l’on s’en réfère aux dispositions du statut des baux commerciaux, l’article L145-1, 1° du Code de commerce précise :
« Les dispositions du présent chapitre s’appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d’une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce, et en outre :
1° Aux baux de locaux ou d’immeubles accessoires à l’exploitation d’un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l’exploitation du fonds et qu’ils appartiennent au propriétaire du local ou de l’immeuble où est situé l’établissement principal. En cas de pluralité de propriétaires, les locaux accessoires doivent avoir été loués au vu et au su du bailleur en vue de l’utilisation jointe ;
Ainsi, une personne publique, qui n’a pas vocation à exploiter un fonds de commerce, ne pourrait de conclure de bail commercial. Ces dispositions de l’article L145-1 doivent être lues en combinaison avec l’article L.145-2 du Code de commerce qui dispose quant à lui :
« Les dispositions du présent chapitre s’appliquent également :
1° Aux baux des locaux ou immeubles abritant des établissements d’enseignement ;
2° Aux baux consentis aux communes pour des immeubles ou des locaux affectés, soit au moment de la location, soit ultérieurement et avec le consentement exprès ou tacite du propriétaire, à des services exploités en régie ;
3° Aux baux d’immeubles ou de locaux principaux ou accessoires, nécessaires à la poursuite de l’activité des entreprises publiques et établissements publics à caractère industriel ou commercial, dans les limites définies par les lois et règlements qui les régissent et à condition que ces baux ne comportent aucune emprise sur le domaine public ;
4° Sous réserve des dispositions de l’article L. 145-26 aux baux des locaux ou immeubles appartenant à l’Etat, aux collectivités territoriales et aux établissements publics, dans le cas où ces locaux ou immeubles satisfont aux dispositions de l’article L. 145-1 ou aux 1° et 2° ci-dessus ;
[…] ».
La qualité de commerçant, tout comme l’exploitation d’un fonds de commerce, n’est pas une condition nécessaire, ainsi que la chambre commerciale de la Cour de cassation[2] dans un attendu de principe littéralement repris :
« Mais attendu, d’une part, que la cour d’appel a relevé, a juste titre, que l’article 2 précité vise, parmi les baux soumis au décret du 30 septembre 1953, ceux qui ont été consentis aux communes pour des locaux affectés à des services exploités en régie ce texte n’exigeant pas, en outre, comme le soutenait la commune X, que le bail soit à usage commercial ou industriel, qu’il n’était donc pas nécessaire que l’existence d’un fonds de commerce soit établie ;
Que, d’autre part, c’est par une interprétation nécessaire du bail, exclusive de toute dénaturation, ainsi que par une appréciation des conditions de fait de l’activité exercée dans les lieux, que l’arrêt a déclaré que, conformément a l’intention des parties, il s’agissait d’un service d’intérêt commun géré en régie ».
II –
Un contrat de bail commercial ne présente normalement pas le caractère d’un contrat administratif, sauf lorsque le contractant devait avoir une part active dans l’exécution d’un service public. Si tel n’est pas le cas, la règle veut que, faute de caractériser des éléments spécifiques révélant la nature administrative du contrat, un tel bail est seulement conclu pour les besoins du service public et n’a pas le caractère d’un contrat administratif[3].
Lorsque le juge administratif qualifie un contrat de contrat administratif, soit le contrat a pour objet de confier au cocontractant l’exécution directe d’une mission de service[4], ou associe le co-contractant au service public[5], soit le contrat comporte une ou plusieurs clauses exorbitantes de droit commun selon l’arrêt célèbre « Société des granits porphyroïdes des Vosges »[6].
En ce qui concerne le critère tiré de la participation du co-contractant au service public, la jurisprudence juge de façon constante que lorsque le contrat n’a ni pour objet de faire participer le co-contractant au service public ni ne constitue une modalité d’exécution du service public, et qu’il est seulement conclu pour les besoins du service public, il n’est pas un contrat administratif[7].
Il convient à cet égard de distinguer, suivant un arrêt rendu par le Conseil d’Etat quelques mois après l’arrêt « Epoux Bertin », l’existence d’un intérêt public de la situation dans laquelle c’est le contrat qui confie l’exécution du service public au cocontractant de l’administration[8]. Les conclusions du Commissaire du Gouvernement sont parfaitement claires à cet égard : « le contrat répond à un intérêt public mais il ne confie nullement aux personnes privées […] l’exécution directe et immédiate du service public ».
La jurisprudence est constante.
Par un arrêt du 30 décembre 2020, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de confirmer que si les actions médico éducatives en faveur des enfants handicapés constituent une mission d’intérêt général, les organismes privés gestionnaires les assurant ne sont pour autant pas chargés d’une mission de service public[9].
En tout état de cause, pour tout contrat passé entre une personne publique et une personne privée, sa nature, civile ou administrative, dépend de son objet (réalisation ou non de travaux ou ouvrages publics ; exécution ou non d’un service public, à condition de faire participer la personne de droit privée à son exécution) et de son régime (selon qu’il contient ou non des clauses exorbitantes de droit commun).
[1] Raymond ODENT, Contentieux administratif, « limites de la compétence de la juridiction administrative au regard de celle de l’autorité judiciaire », page 559
[2] Cass. com. 18 décembre 1968, n°67-12.739, FS – PB
[3] Tribunal des Conflits, 17 octobre 2011, n°C3809
[4] Tribunal des Conflits, 23 février 2004, Société Lease – com, Rec. p.628
[5] Tribunal des Conflits, 8 décembre 2014, Chambre nationale des services d’ambulance (CNSA) c. Union nationale des caisses d’assurance maladie et autres, Rec. p.474
[6] Conseil d’Etat, 31 décembre 2012, p.909, conclusions Léon Blum
[7] Conseil d’Etat, 30 mars 2055, SCP de Médecins Reichheld et Sturzer, n°262964 ; 2 mai 2016 Centre hospitalier régionale universitaire de Montpellier, Rec. p.957
[8] Conseil d’Etat, Section 11 mai 1956 Société française des transports Gondrand Rec. p.202
[9] Conseil d’Etat, 1ère chambre, 30 décembre 2020, n° 435325