Administrateur de SA : le principe de la révocation “ad nutum” ne fait pas obstacle à l’existence d’un juste motif de révocation…

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

 

SOURCE : Cass.com., 14 mai  2013, n° 486 FS – P + B (n° 11 – 22.845).

 

Dans cette espèce, un administrateur d’une société anonyme, dont il était également le Président Directeur Général, fut révoqué de ses fonctions d’administrateur lors d’une Assemblée Générale ayant pour ordre du jour l’approbation des comptes annuels, alors que sa révocation ne figurait pas parmi les points inscrits à l’ordre du jour.

 

La révocation de ses fonctions d’administrateur ayant été décidée par l’Assemblée Générale annuelle, il fut donc réputé démissionnaire de son poste de Président Directeur Général de la société et dut quitter celle-ci le jour même.

 

Considérant que cette révocation était abusive, l’administrateur assigna la société ainsi que les actionnaires ayant voté par sa révocation pour demander leur condamnation à des dommages et intérêts, demande à laquelle fit droit le Tribunal de Commerce de PARIS dans un Jugement du 23 juin 2010.

 

La société ayant été mise entre-temps en redressement judiciaire, elle interjeta appel de cette décision, de même que l’administrateur judiciaire nommé pour l’assister dans le cadre de la procédure collective, ainsi que les actionnaires mis en cause.

 

Mais la Cour d’Appel de PARIS, dans un Arrêt du 31 mai 2011, infirma en totalité le Jugement déféré, considérant que l’absence d’inscription de la révocation à l’ordre du jour ne suffisait pas à rendre cette mesure brutale et clandestine, de nature à entrainer l’octroi de dommages et intérêts et que les documents de la société, notamment le procès-verbal de l’assemblée litigieuse, ne contenaient aucun passage injurieux ou vexatoire envers l’administrateur, de même qu’il n’était fait état d’aucun propos malveillant ou blessant.

 

La Cour relève également que les suspensions de séance demandées par l’administrateur ont duré, en tout,  environ 3 heures et que ce délai a été suffisant pour qu’il puisse contacter des tiers, faire part de ses observations et rédiger un communiqué de deux pages lu aux actionnaires, la révocation n’ayant été mise au vote qu’une fois que les observations écrites et orales de l’administrateur aient été présentées aux actionnaires.

 

La Cour relève également que la révocation peut être décidée à tout moment sans préavis ni précision de motif, lesquels n’ont pas à être communiqué préalablement, le principe de la contradiction supposant seulement que l’administrateur ait été mis en demeure de présenter ses observations préalablement à la décision de révocation, ce qui avait été le cas en l’espèce.

 

Par ailleurs, relevant que l’administrateur révoqué faisait également état de la violation des dispositions du pacte d’actionnaires, lequel formalisait très précisément les règles de gouvernance en manière de composition du Conseil d’Administration et de nomination des dirigeants, de sorte qu’aucune décision ne pouvait être prise sans l’autorisation préalable du Conseil d’Administration décidée à la majorité des 8/10ème des administrateurs alors en fonction, la Cour d’Appel considére que ce pacte ainsi qu’aucune disposition contractuelle n’évoquaient expressément la révocation d’une des personnes dirigeantes et qu’en tout état de cause, le droit, pour l’Assemblée Générale des actionnaires, de révoquer à tout moment un administrateur ne saurait être limité par un pacte quelconque entre les actionnaires.

 

Ensuite de cette décision, l’administrateur révoqué se pourvut en Cassation.

 

En particulier, celui-ci fait grief à l’Arrêt d’avoir rejeté ses demandes dirigées contre les actionnaires majoritaires, prétendant que l’action concertée et déloyale de ceux-ci en vue de révoquer un mandataire social constitue un abus dans le droit de révocation de ce dernier.

 

Mais la Haute Cour rejette ce moyen, relevant qu’il ressortait de l’Arrêt d’appel que l’administrateur révoqué ne rapportait la preuve d’aucun agissement caractérisant de la part des actionnaires majoritaires une volonté malveillante ou l’intention de lui nuire.

 

Puis, l’administrateur révoqué fait également grief à l’Arrêt de rejeter ses demandes dirigées contre les actionnaires majoritaires en raison d’une non respect par ceux-ci des dispositions du pacte d’actionnaires, aux termes duquel les parties s’engageaient à faire en sorte qu’aucune décision ne soit prise concernant la nomination et la désignation des personnes clés de la société sans l’autorisation préalable du Conseil d’Administration décidée à la majorité des 8/10ème des administrateurs alors en fonction et que la circonstance qu’un pacte d’actionnaires ne puisse limiter le droit pour l’Assemblée Générale des actionnaires de révoquer à tout moment un administrateur, n’exclut pas la responsabilité des personnes qui ont conclu le pacte en méconnaissance de ces termes.

 

Mais la Haute Cour rejette également ce moyen affirmant qu’est illicite toute stipulation ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la libre révocabilité de l’administrateur d’une société anonyme et que les dispositions du pacte litigieux auraient eu pour effet précisément de limiter le droit de l’Assemblée Générale des actionnaires de révoquer à tout moment un administrateur, de sorte que la Cour d’Appel avait pu en déduire à bon droit que l’administrateur révoqué n’était pas fondé dans sa demande de mise en œuvre de la responsabilité personnelle des actionnaires en raison de l’inobservation du pacte.

 

Toutefois, la Haute Cour, dans l’Arrêt précité du 14 mai 2013, va casser partiellement l’Arrêt au visa de l’article 1382 du Code Civil.

 

Rappelant que la révocation d’un administrateur peut intervenir à tout moment et n’est abusive que si elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à sa réputation ou à son honneur, ou si elle a été décidée brutalement sans respecter l’obligation de loyauté dans l’exercice du droit de révocation,

 

Et relevant que pour rejeter les demandes de l’administrateur révoqué, dirigées contre la société, l’Arrêt énonce qu’il résultait du procès verbal des décisions de l’Assemblée Générale litigieuse que cet administrateur avait obtenu des suspensions de séance dont la durée totale dépassait 3 heures afin de lui permettre de contacter des tiers et de rédiger un communiqué, précisant que la question de sa révocation n’avait été mise au vote qu’après qu’il eut présenté ses observations écrites et orales, que l’Arrêt ajoute que le principe de la contradiction suppose seulement que l’administrateur ait été mis en mesure de présenter ses observations préalablement à la décision de révocation, ce qui avait été le cas en l’espèce,

 

La Haute Cour considère qu’en se déterminant ainsi sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’administrateur révoqué avait eu connaissance des motifs de sa révocation avant qu’il fut procédé au vote, la Cour d’Appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

 

Par suite, l’Arrêt casse et annule l’Arrêt de la Cour d’Appel, mais seulement en ce qu’il avait rejeté les demandes de l’administrateur révoqué dirigées contre la société au titre du caractère abusif de sa révocation de ses fonctions d’administrateur.

 

Revenant sur sa Jurisprudence antérieure, la Cour de Cassation considère désormais que le respect des droits de la défense et du principe du contradictoire implique nécessairement que le dirigeant ait été avisé des motifs de la révocation pour pouvoir se défendre en pleine connaissance de cause, ceci préalablement au vote.

 

 

Christine MARTIN

Associée

Vivaldi-Avocats

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