Par ce nouvel arrêt, publié au bulletin, les juges considèrent que l’organisation capitalistique égalitaire ne permet plus d’écarter l’abus de droit en considération de règles statutaires de vote à l’unanimité.
Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 21 juin 2023, 21-23.298, Publié au bulletin
L’abus d’égalité est constitué par le fait, pour un associé à parts égales, d’empêcher, par son vote négatif, une opération essentielle pour la société dans l’unique dessein de favoriser ses intérêts au détriment de l’autre.
I –
Dans un nouvel arrêt publié au Bulletin, la Cour de cassation revient sur l’abus de droit, et plus particulièrement sur l’abus d’égalité possible même en présence d’obligations de vote à l’unanimité.
Une SAS estconstituée par deux associées égalitaires, personnes morales ayant une activité de transport. Ses statuts prévoient que la présidence en est assurée alternativement par une personne désignée par chacun des actionnaires pour une durée de deux ans.
Elle a précisément pour objet le pilotage des transports terrestres d’une tierce société, filiale du groupe Nestlé.
L’origine du contentieux s’illustre autour d’un contrat signé entre la SAS et Nestlé Waters dès lors que la seconde a, avant l’échéance du contrat, informé la SAS qu’elle envisageait une restructuration de son système de gestion des transports, et remettait ainsi en cause la poursuite de leurs relations contractuelles. Elle offrait cependant la possibilité à la SAS de lui soumettre une proposition de contrat transitoire.
Cette idée a été soumise à l’assemblée générale des actionnaires mais faute d’obtention de la majorité prévue par les statuts (c’est-à-dire l’unanimité), la résolution n’a pu être adoptée, et le contrat transitoire n’a donc pas été proposé.
Le problème qui se pose est qu’en réalité, l’une des sociétés coactionnaires, laquelle s’est opposé au vote, faisait partie d’une groupe de transport concurrent, qui avait finalement lui-même obtenu le marché de la gestion des transports de marchandises avec Nestlé waters…
La SAS le lui reproche, considérant que son vote négatif, empêchant l’adoption à l’unanimité, constituait un abus d’égalité lui causant préjudice. Elle demande réparation devant le juge, par le versement de dommages et intérêts.
II –
La Cour d’appel a rejeté cette demande en retenant que les actionnaires fondateurs avaient voulu soumettre l’ensemble de leurs décisions à la règle de l’unanimité, ce qui avait pour conséquence que l’un comme l’autre avait accepté dès l’origine, l’hypothèse d’une mésentente conduisant à un blocage du fonctionnement de la société, voire à la disparition de l’affectio societatis (c’est-à-dire la volonté de s’associé)
III –
Au visa de l’article 1240 du Code Civil, qui implique que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, la Cour de cassation censure l’arrêt de ses collègues du fond, au motif que les considérations tirées de la règle de l’unanimité sont impropres à exclure l’existence d’un abus d’égalité.
Autrement dit, ce n’est pas parce que les associés fondateurs avaient volontairement prévu une unanimité dans leurs statuts, que les conditions prétoriennes relatives à l’abus de droit ne peuvent pas être réunies, lesquelles sont strictement les suivantes :
- Une opération essentielle pour la société,
- Un associé qui favorise ses intérêts
- Au détriment de ceux des autres.
Les considérations selon lesquelles les décisions collectives sont adoptées ou non à l’unanimité sont étrangères aux critères de qualification de l’abus d’égalité, identiques aux autres abus de droit (abus de minorité, abus de majorité).
Cette prise de position est bienvenue dans un contexte où, au cas d’espèce l’associé égalitaire s’est opposé à une opération importante, et à son seul profit, puisque membre d’un groupe concurrent de transport ayant remporté le marché visé.
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