Abus de confiance et encaissement d’acompte par une société en difficulté.

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

SOURCE :  Cour de Cassation, Chambre Criminelle, 15 décembre 2021, N°21.81.922

I – L’abus de confiance est encadré par l’article 314-1 du Code pénal, qui prévoit tant sa définition que sa sanction :

« L’abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé.

L’abus de confiance est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende ».

Commet un abus de confiance la personne qui détourne, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé.

Ce délit se distingue :

  Du vol, puisqu’il n’est pas l’appréhension de la chose d’autrui, contre sa volonté. L’abus de confiance suppose au contraire que son auteur ait régulièrement obtenu la chose entre ses mains, confiée en toute confiance.

  De l’escroquerie, puisqu’il la remise de la chose sa été consentie par son propriétaire, en toute lucidité, sans faire l’usage de faux, ou de manœuvre frauduleuse. A l’inverse de l’escroquerie, l’abus de confiance suppose la remise antérieure à la fraude, sans vice.

Pour être constitué, le bien objet de détournement doit avoir été préalablement remis, volontairement et à titre précaire à charge pour celui qui reçoit de restituer le bien, de le représenter ou d’en faire un usage déterminé.

Le délit suppose une obligation de restituer, après représentation, en ayant fait un usage déterminé, aux fins prévues entre les parties. Les juges ont par ailleurs récemment précisé, que toute décision de condamnation qui ne spécifie pas à quel titre, ni à quelles fins les sommes détournées ont été remises, doit être censurées.[1]

C’est justement sur cette remise précaire préalable que porte l’arrêt étudié.

II – A l’origine de ce contentieux, le gérant de fait d’une société de travaux est accusé d’avoir encaissé des acomptes pour la réalisation de travaux de construction qu’il n’a pas effectué ou effectué partiellement. La complexité de la situation découle du fait que ce dernier savait pertinemment, au moment où il encaissait les acomptes, qu’il ne pourrait réaliser les travaux sollicités, en raison de la situation financièrement dégradée de l’entreprise.

Déclaré coupable par le tribunal correctionnel, la Haute Cour intervient pour censurer l’arrêt rendu par la Cour d’Appel, considérant :

  D’une part,

9.  Selon ce texte, l’abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire.

10.  Pour déclarer le prévenu coupable d’abus de confiance au préjudice des clients de la société [3], l’arrêt retient que M. [K] recevait les chèques d’acomptes des clients de cette société, mais que la moitié des chantiers de construction de piscines n’a jamais commencé, quand les autres chantiers n’ont jamais été terminés.

11.  Les juges ajoutent que, devant le juge d’instruction, le prévenu a indiqué que les acomptes reçus « comblaient le découvert » de l’entreprise et qu’il a sciemment perçu ces fonds alors que « les comptes étaient déjà dans le rouge », en sachant que les chantiers ne seraient pas réalisés.

12.  En se déterminant ainsi, par des motifs faisant apparaître que les fonds, remis en vertu contrats de marchés de travaux, l’ont été en pleine propriété, peu important la connaissance par le prévenu, dès la remise des fonds, de son impossibilité d’exécuter les contrats, la cour d’appel, qui n’a pas recherché si les faits poursuivis pouvaient recevoir une autre qualification, a méconnu le texte susvisé.

L’élément important dans cet arrêt, est que selon la Haute juridiction, compte tenu du fait que l’acompte représente un transfert de propriété, il n’y a pas de remise à titre précaire, donc pas d’abus de confiance. Selon elle, peu importe donc que l’entrepreneur ait encaissé des fonds, en sachant pertinemment que la société périclitait, et qu’il serait dans l’impossibilité d’exécuter les contrats confiés.

Les juges de la Haute Cour refusent d’appliquer l’abus de confiance à des fonds qui ont été remis en pleine propriété, alors que de toute évidence, le détournement opéré par l’abus de confiance ne peut résulter que d’un cadre plus restreint, à savoir que d’un bien, resté propriété de la victime, et abusé par l’agent.

Les faits doivent être appréciés différemment lorsque les fonds sont remis à l’agent, et qu’ils sont devenus sa propriété au titre d’un contrat conclu, comme c’était le cas en l’espèce.

L’incrimination suppose la protection du droit de propriété d’autrui. Manifestement, le propriétaire d’une chose ne peut la détourner lui-même, l’abus de confiance apparaissant incompatible.

  D’autre part,

La Cour d’appel aurait dû rechercher si les faits reprochés n’auraient pas pu recevoir une autre qualification puisque l’abus de confiance n’est pas constitué. En effet, dans le prolongement de son important arrêt, publié au bulletin, la Chambre Criminelle exige dorénavant des juges du fond qu’ils recherchent une qualification pénale de substitution.[2]

III – La question posée par cet arrêt, rendu en formation restreinte et non publié interpelle :

L’abus de confiance peut-il être envisagé dans le cadre d’un transfert de propriété assorti de certaines restrictions ou conditions ?

De toute évidence l’arrêt revient à répondre par la négative.

Il s’inscrit dans le prolongement de certains arrêts qui avaient d’ores et déjà considéré que l’agent ne pouvait détourner un bien dont il était lui-même devenu propriétaire, de sorte que l’abus de confiance n’était pas applicable en cas de transfert de propriété.

Ainsi, l’emprunteur d’une somme d’argent qui refuse de restituer l’équivalent des espèces empruntées n’est pas coupable d’abus de confiance[3], de même que le détective, payé d’avance, qui ne réalise pas son enquête[4].

Pour autant, la jurisprudence n’a pas toujours été unanime en la matière.

La Chambre Criminelle a parfois considéré, au rebours de sa propre jurisprudence, que l’abus de confiance était constitué lorsque les prévenus ont encaissé des acomptes en sachant dès l’origine qu’ils n’exécuteront pas les travaux commandés en raison de la situation financière obérée de leur entreprise[5]. Par ailleurs, cette vision ne découle pas d’un arrêt isolé[6].

Heureusement, ces errements jurisprudentiels ont pris fin. Depuis un important arrêt de 2018, largement publié par la Cour de cassation, les juges semblent avoir définitivement recentré leur position, que l’arrêt présentement étudié semble parfaitement reprendre.

En effet, dans son arrêt daté du 5 Avril 2018[7], la Chambre criminelle affirme clairement que l’abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs, ou biens remis à titre précaire. Ainsi, elle censure la décision des juges du fonds, ayant condamné un dirigeant ayant accepté des paiements, alors que son entreprise avait cessé toute activité, et n’ayant donc, jamais exécuté, même partiellement, ses prestations.

Le droit prétorien s’édifie donc dans le sens de l’exclusion de l’incrimination d’abus de confiance aux fonds remis en vertu d’un contrat de prestation de service (donc en pleine propriété), et ce, peu important la connaissance par le prévenu, de son impossibilité d’exécuter le contrat dès la remise des fonds.

De nombreux arrêts postérieurs sont venus consolider cet arrêt, qui s’impose comme de principe en la matière.

[1] C.Crim, 4 novembre 2021, N°20.81.137

[2] C. Crim, 5 avril 2018 – N°17.81.085

[3] C. Crim, 26 janvier 2005, N°04.81.497

[4] C. Crim, 25 avril 2006, N°05.80.928

[5] C. Crim, 3 février 2016, N°14.83.427

[6] Voir aussi : C. Crim, 6 avril 2016 N°15.81.272 – C. Crim, 13 janvier 2010, N°08.83.216 – C. Crim, 22 février 2017 N°15.85.799 (…)

[7] C. Crim, 5 avril 2018, N°17.81.805 P+B+R+I

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