Source : Cass. com., 03 mai 2018, n° 16-25.067
I – Clause « droit de propriété intellectuelle » = clause de non-concurrence ?
En 2000, suite à son licenciement pour faute grave un an après son embauche, un ingénieur « recherche et développement télécom » d’IBM France saisit le Conseil des prud’hommes au soutien de plusieurs moyens.
L’arrêt commenté est particulièrement intéressant au regard du troisième moyen développé.
La clause 6.3 du contrat de travail intitulée « droit de propriété intellectuelle » prévoit pour le salarié une interdiction :
– pendant la durée du contrat et pendant les cinq ans qui suivent la rupture de celui-ci de procéder en son nom ou au nom d’un tiers, sauf accord de l’employeur, à tout dépôt ou formalités auprès des registres de marques, dessins et modèles, brevets pour des créations inventées pendant l’exécution de son contrat ; et
– pendant un délai de trois ans à compter de la résiliation du contrat de publier des articles scientifiques, de diffuser des informations commerciales, des renseignements techniques relatifs à l’employeur.
Le demandeur à l’instance fait une lecture de la clause litigieuse sous l’angle de l’obligation de non-concurrence en soutenant qu’elle a pour objet et pour conséquence de limiter la liberté d’utilisation du savoir qu’il a acquis auprès de son employeur. En d’autres termes, elle est, selon lui, assimilable à une clause de non-concurrence et suppose une contrepartie financière particulière.
II – Une définition stricte de la clause de non-concurrence
Les juges du fond ont suivi le raisonnement du salarié fondé sur les articles anciennement 1134 du Code civil et L. 1221-1 du Code du travail, la Cour de cassation a cassé la décision.
La Haute juridiction se base sur la lecture combinée de ces deux textes qu’il faut adopter : le contrat de travail doit être appliqué de bonne foi. Partant, la clé de sa position réside dans le rappel de la définition et de la conséquence de la clause de non-concurrence.
La clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail permet d’indemniser financièrement le salarié en contrepartie de la limitation dans le temps et l’espace de sa liberté de faire usage de son droit à l’exercice de son activité professionnelle rémunérée.
Or, en l’espèce, par le biais de la clause litigieuse, l’employeur limite le droit à la propriété intellectuelle du salarié et non son droit à l’exercice professionnel.
Par conséquent, la clause « droit de propriété intellectuelle » ne peut en aucune façon être assimilée à une clause de non-concurrence justifiant d’une contrepartie financière.
III – Vers une sortie apaisée de ce type de litige ?
Lorsque le salarié a, entre autres, une mission de création ou d’invention explicitement confiée par l’employeur et qu’il s’exécute en mettant en œuvre une nouveauté, l’employeur est propriétaire de cette dernière.
Toutefois, le salarié pourrait bénéficier, conformément à l’article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle, d’une rémunération supplémentaire convenue dans son contrat de travail.
Seconde situation possible, les inventions exclues du champ de la mission explicite du salarié, mais présentant un lien avec l’activité de l’employeur et créées grâce aux moyens de ce dernier demeurent la propriété du salarié.
En revanche, l’employeur peut, de son côté, se faire attribuer la propriété d’une création inventée dans ces conditions. Le salarié bénéficiera alors, sauf litige, soit, d’une somme forfaitaire globale et définitive, soit d’une somme fixée en fonction du chiffre d’affaires généré par l’invention, la combinaison de ces deux formules, restant envisageable également.
L’inventeur salarié doit donc redoubler de vigilance dans le cadre de son activité professionnelle : le risque est ici « interne » face à l’employeur, mais peut aussi venir de la concurrence notamment avec le risque de parasitisme[1].
Victoria GODEFROOD-BERRA
Vivaldi-Avocats
[1] Voir notre article CHRONOS du 16 mai 2018, Inventeurs, créateurs, développeurs, veillez à pouvoir prouver les origines de votre inspiration !