Source : Cass. com., 20 septembre 2017, n°16-14.295, F-P+B+I
I – Les faits
Un débiteur est placé en liquidation judiciaire en 2010. Il était propriétaire indivis d’un immeuble avec sa mère et sa sœur. Le liquidateur a assigné ces dernières en licitation partage de l’immeuble. Elles ont formé opposition contre l’arrêt qui, statuant par défaut, a ordonné l’ouverture des opérations de liquidation et de partage de l’indivision et, préalablement, la licitation de l’immeuble.
II – L’arrêt
La Cour d’appel a estimé que les demandes formées par la mère, fondées sur les articles 822[1] et 831-2 du Code civil[2], n’étaient pas recevables, ces dispositions ne s’appliquant pas lorsque le bien concerné est soumis à une vente forcée intervenant en exécution des dispositions spéciales, d’ordre public, des procédures collectives.
La Cour de cassation censure partiellement l’arrêt d’appel au visa des articles 815-17[3], 822 et 831-2 du Code civil, et estime que la licitation de l’immeuble indivis, qui était l’une des opérations de liquidation et partage de l’indivision préexistante au jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire du débiteur, échappait aux règles applicables en matière de réalisation des actifs de la procédure collective, et ne pouvait être ordonnée qu’après examen des demandes formées par la coïndivisaire, tendant au maintien dans l’indivision et à l’attribution préférentielle de l’immeuble.
III – Les enseignements à en tirer
La compatibilité entre les règles de la licitation partage et celles de la procédure collective d’un indivisaire ne sont pas toujours faciles à appréhender. C’est donc la Cour suprême qui a précisé l’articulation des règles.
Ainsi, les principes sont que :
– Les créanciers dont la créance est née antérieurement à la dissolution de la communauté (cas du divorce d’époux communs en biens) peuvent poursuivre la saisie et la vente des biens dépendant de l’indivision post-communautaire, dans les conditions de l’action oblique (compromission des intérêts des créanciers et refus des coïndivisaires de provoquer le partage) ;
– Lorsque l’indivision préexistait à l’ouverture de la procédure collective, le liquidateur, représentant des créanciers personnels de l’indivisaire en liquidation, est fondé à solliciter la licitation de l’immeuble indivis, sans avoir à demander l’autorisation préalable du juge-commissaire [4] ;
– Les créanciers conservent en outre le droit de poursuivre la saisie des biens indivis, malgré l’ouverture postérieurement à la naissance de l’indivision, d’une procédure collective à l’encontre de l’un des indivisaires. L’arrêt ci-commenté apporte cette précision que la vente ne peut être cependant ordonnée qu’après examen des demandes formées par un coïndivisaire, tendant au maintien dans l’indivision et à l’attribution préférentielle de l’immeuble. Autrement dit, les règles applicables en matière de réalisation des actifs de la procédure collective ne lui sont pas opposables. A notre sens, la demande d’attribution préférentielle doit être rejetée, vu le risque qu’elle ferait courir à l’un des copartageants, au regard de la situation précaire de l’attributaire[5].
Par conséquent :
– Est sans incidence l’extinction de la créance, faute de déclaration au passif de l’indivisaire soumis à la procédure collective[6] ;
– Il est impossible d’opposer aux créanciers de l’indivision, l’inaliénabilité temporaire résultant du plan de continuation arrêté par le tribunal dans le cadre de la procédure collective ouverte à l’encontre d’un indivisaire, postérieurement à la naissance de l’indivision (« l’inaliénabilité ne revêtait pas le caractère d’une insaisissabilité s’imposant aux créanciers de l’indivision »)[7].
– La banque créancière d’un indivisaire ne peut pas être privée du droit de poursuite qu’elle tient de l’article 815-17 du Code civil, bénéficiant antérieurement à l’ouverture de la procédure collective d’un indivisaire d’un jugement ordonnant la licitation des biens indivis ;
– Il n’est donc pas nécessaire qu’elle saisisse le juge-commissaire d’une requête afin d’être autorisée à continuer ses poursuites sur des biens dont, après l’adoption du plan de continuation, le débiteur a retrouvé la libre disposition à son égard. La banque peut donc être payée avant le partage, par prélèvement sur l’actif.
Thomas LAILLER
Vivaldi-Avocats
[1] Article 822 du Code civil : « Si le défunt laisse un ou plusieurs descendants mineurs, le maintien de l’indivision peut être demandé soit par le conjoint survivant, soit par tout héritier, soit par le représentant légal des mineurs.
A défaut de descendants mineurs, le maintien de l’indivision ne peut être demandé que par le conjoint survivant et à la condition qu’il ait été, avant le décès, ou soit devenu du fait du décès, copropriétaire de l’entreprise ou des locaux d’habitation ou à usage professionnel.
S’il s’agit d’un local d’habitation, le conjoint doit avoir résidé dans les lieux à l’époque du décès. »
[2] Article 831-2 du Code civil : « Le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut également demander l’attribution préférentielle :
1° De la propriété ou du droit au bail du local qui lui sert effectivement d’habitation, s’il y avait sa résidence à l’époque du décès, et du mobilier le garnissant, ainsi que du véhicule du défunt dès lors que ce véhicule lui est nécessaire pour les besoins de la vie courante ;
2° De la propriété ou du droit au bail du local à usage professionnel servant effectivement à l’exercice de sa profession et des objets mobiliers nécessaires à l’exercice de sa profession ;
3° De l’ensemble des éléments mobiliers nécessaires à l’exploitation d’un bien rural cultivé par le défunt à titre de fermier ou de métayer lorsque le bail continue au profit du demandeur ou lorsqu’un nouveau bail est consenti à ce dernier. »
[3] Article 815-17 du Code civil : «Les créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu’il y eût indivision, et ceux dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis, seront payés par prélèvement sur l’actif avant le partage. Ils peuvent en outre poursuivre la saisie et la vente des biens indivis.
Les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir sa part dans les biens indivis, meubles ou immeubles.
Ils ont toutefois la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d’intervenir dans le partage provoqué par lui. Les coïndivisaires peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant l’obligation au nom et en l’acquit du débiteur. Ceux qui exerceront cette faculté se rembourseront par prélèvement sur les biens indivis. »
[4] Cass. com., 3 oct. 2006, n°05-16.463, publié au bulletin
[5] Voir cass. com., 3 oct. 2006, n°05-16.463, publié au bulletin
[6] Cass. civ. 1ère, 13 déc. 2005, n°02-17.778, publié au bulletin
[7] Cass. com., 7 févr. 2012, n°11-12.787 et 11-13.213, publié au bulletin