Reprise illicite d’un logement et responsabilité de l’huissier de justice

Delphine VISSOL
Delphine VISSOL

 

Source : Civ. 3e, 6 juill. 2017, F-P+B, n° 16-15.752

 

En l’espèce, un huissier, après avoir procédé le 15 septembre 2011, en l’absence du locataire, à la saisie conservatoire des meubles garnissant la maison d’habitation louée à celle-ci, a été avisée que la locataire avait déménagé.

 

Le 29 septembre 2011, l’huissier, constatant que l’habitation avait été vidée, a dressé un procès-verbal de reprise des lieux et fait changer la serrure du logement.

 

La locataire a alors assigné l’huissier en réparation de son préjudice.

 

La Cour d’appel de DOUAI la déboute de sa demande considérant que celle-ci n’administre pas la preuve que la reprise du logement dont elle s’était retirée volontairement pour intégrer une autre habitation, dans des conditions répréhensibles au regard de ses obligations de gardien des meubles saisis entre ses mains à titre conservatoire, même en l’absence d’une mise en demeure et d’une décision de justice constatant la résiliation du bail, prévues à l’article 14-1 de la loi du 6 juillet 1989, lui ait causé un dommage matériel ou moral dont l’huissier devrait l’indemniser.

 

Cet arrêt est toutefois censuré par la Troisième chambre civile de la Cour de cassation laquelle considère, par cet arrêt publié au Bulletin, « Qu’en statuant ainsi, alors que la seule constatation d’une reprise illicite d’un logement ouvre droit à réparation, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

 

Il sera rappelé qu’il résulte des dispositions de l’article 14-1 du la loi du 6 juillet 1989 que :

 

« Lorsque des éléments laissent supposer que le logement est abandonné par ses occupants, le bailleur peut mettre en demeure le locataire de justifier qu’il occupe le logement.

 

Cette mise en demeure, faite par acte d’huissier de justice, peut être contenue dans un des commandements visés aux articles 7 et 24.

 

S’il n’a pas été déféré à cette mise en demeure un mois après signification, l’huissier de justice peut procéder, dans les conditions prévues aux articles L. 142-1 et L. 142-2 du code des procédures civiles d’exécution, à la constatation de l’état d’abandon du logement.

 

Pour établir l’état d’abandon du logement en vue de voir constater par le juge la résiliation du bail, l’huissier de justice dresse un procès-verbal des opérations. Si le logement lui semble abandonné, ce procès-verbal contient un inventaire des biens laissés sur place, avec l’indication qu’ils paraissent ou non avoir valeur marchande.

 

Le juge qui constate la résiliation du bail autorise, si nécessaire, la vente aux enchères des biens laissés sur place et peut déclarer abandonnés les biens non susceptibles d’être vendus.

 

Un décret en Conseil d’Etat précise les conditions d’application du présent article ».

 

S’il présume l’abandon de son logement, le bailleur doit donc :

 

1/ mettre en demeure le locataire, par acte d’huissier, de justifier qu’il occupe toujours l’habitation,

 

2/ à défaut de réponse dans le mois suivant la mise en demeure, faire procéder par huissier au constat de l’état d’abandon du logement,

 

3/ solliciter du juge, sur la base de ce constat d’huissier, la constatation de la résiliation du bail, le Tribunal pouvant à cette occasion soit autoriser la vente aux enchères des biens laissés sur place soit les déclarer abandonnés dans l’hypothèse où ces derniers ne présentent aucune valeur marchande.

 

Or, en l’espèce, l’huissier a directement dressé un procès-verbal de reprise des lieux sans que le juge ait acté la résiliation du bail de sorte que celui-ci a commis une faute en ne respectant pas la procédure applicable.

 

Si l’existence d’une faute de l’huissier au regard du texte était difficilement contestable, restait toutefois à démontrer l‘existence d’un préjudice étant rappelé qu’il s’agit en l’espèce d’une responsabilité délictuelle de sorte que doivent être démontrés une faute, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

 

C’est donc à ce titre que la Cour d’appel a débouté la locataire de sa demande indemnitaire considérant que celle-ci n’apportait pas la preuve que la reprise illégale du logement lui ait causé un dommage matériel ou moral étant rappelé que celle-ci avait volontairement quitté le logement alors même qu’elle se trouvait gardien des meubles saisis entre ses mains à titre conservatoire.

 

La Cour de cassation ne partage cette position considérant que quelque soit le comportement du locataire, la seule constatation d’une reprise illicite d’un logement ouvre droit à réparation, le préjudice résultant donc ipso facto, de la violation de règle de droit. Reste désormais à connaître le quantum des dommages et intérêts qui seront alloués à ce titre par la Cour d’appel de renvoi.

 

Delphine VISSOL

Vivaldi-Avocats

Partager cet article